Tenzin Palmo Interview  N°7 par Lwiis Saliba (13/04/2022)

Tenzin Palmo

Interview  N°7

par Lwiis Saliba

(13/04/2022)

Translitération anglaise par Thibaut

Traduction française par Jacques Vigne

Relecture par Geneviève (Mahâjyoti)

 Introduction

Aujourd’hui, nous fêtons le premier anniversaire de la présence de Jetsunma Tenzin Palmo parmi nous, cela fait juste un an que nous avons commencé cette série d’entretiens avec elle, et exactement depuis le 14 Avril 2021, date de la première interview, nous avons déjà achevé six entretiens, un tous les deux mois. Toutes ces interviews sont disponibles sur Youtube sur le canal de Lwiis Saliba, et leurs textes intégraux en anglais, français, espagnol, allemand. Arabe, et italien sont disponibles pour tout le monde sur les sites du Dr Jacques Vigne et sur le mien aussi. Ils vont faire l’objet d’un livre en français, en anglais, en arabe, et éventuellement en italien.

Cela fait donc maintenant juste un an que Jetsunma Tenzin Palmo a inauguré cette série d’entretiens en parlant de la stupidité humaine. Elle a dit textuellement et je la cite:

“Nous nous battons les uns contre les autres. Nous disons : “J’ai raison, tu as tort“. Nous nous battons sur des choses qui ne sont pas importantes au lieu de collaborer sur ce qui est important. (…) Nous n’apprenons jamais de nos erreurs. Nous nous bombardons les uns les autres, puis nous reprenons un peu notre souffle et nous recommençons. Si cela n’est pas stupide, dites-moi ce qui l’est ?” Aujourd’hui, encore une fois, nous nous retrouvons devant une nouvelle stupidité humaine et une nouvelle guerre!

Cela me fait revenir à l’esprit une célèbre parole d’Einstein qui disait: “Dans ce monde il y deux infinis: l’Univers et la stupidité humaine, et je ne suis pas sûr que l’Univers soit plus infini!”

Au Liban, le 13 avril, la date d’aujourd’hui, est une date néfaste car c’est l’anniversaire du début de la guerre du Liban qui a duré plus de16 ans (1975-1990) et qui a tué des centaines de milliers de personnes dans un petit pays dont la population ne dépassait pas les 3 millions. Qui plus est, nous sommes maintenant en pleine période de guerre avec ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine. Et c’est exactement en de telles périodes difficiles qu’on a plus besoin d’entendre la voix de la sagesse et de l’amour, comme la voix de notre grande sage Jetsunma Tenzin Palmo

Lwiis : Jetsunma, une fois de plus, la bêtise humaine a refait surface et nous sommes confrontés à une nouvelle guerre, entre la Russie et l’Ukraine. La guerre est-elle une fatalité, un karma auquel nous ne pouvons échapper ? Ou est-ce un choix auquel on peut renoncer ?

TP : Bien sûr, dans notre histoire, partout dans le monde, il y a eu des guerres, pas seulement d’un pays à l’autre, mais d’une tribu à l’autre, d’une famille à l’autre… L’histoire elle-même est une chronique d’invasions sans fin. Tant que nous aurons des conflits dans nos cœurs, alors il y aura une émanation de ces conflits à l’extérieur, que ce soit avec de petits ou de grands conflits….. Cela doit toujours arriver. Là où il y a de la colère, là où il y a de la violence, de l’avidité, de la soif de pouvoir et de conquête, alors bien sûr il y aura une guerre : s’il n’y a pas de paix à l’intérieur, alors pas de paix à l’extérieur ! Nous pouvons le voir, nous ne sommes pas devenus plus pacifiques au cours de notre histoire, nous n’avons rien appris. Nous sommes seulement devenus plus armés, plus aptes à blesser et à tuer. Avant nous utilisions des arcs et des flèches… Maintenant nous utilisons ce que nous utilisons, en plus nous ne mentionnons même pas le karma que nous récolterons dans le futur, les graines empoisonnées générant des résultats empoisonnés !

À moins que les êtres humains ne subissent réellement une transformation conjointe de la conscience, ce qu’ils n’ont jamais fait jusqu’à présent, nous allons continuer avec les mêmes problèmes, c’est comme dans une famille, là où il y a eu de la violence domestique dans le passé, il y aura encore de la violence domestique dans le présent. Et d’après ce que nous pouvons voir, cela continuera dans le futur.

Les êtres humains sont difficiles. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas beaucoup de beaux êtres humains : beaucoup de belles choses se produisent, les médias se concentrent principalement sur la guerre, mais il y a aussi tellement de choses qui se passent pour essayer d’aider, de tendre la main dans ces zones difficiles. Pourtant, le fait est que nous perpétuons continuellement les mêmes schémas négatifs.  Tant de personnes innocentes sont touchées, non seulement celles qui sont tuées, mais aussi celles qui restent !  Et pourtant, nous n’apprenons pas… ce qu’il faut faire…. Il n’y a aucun moyen de zapper toutes les choses, d’y échapper en un claquement de doigts.

Vous regardez l’histoire et vous pouvez voir les cycles se répéter et se répéter : à chaque fois, nous disons que nous avons appris et que nous ne ferons plus jamais cela, puis la génération suivante fait exactement la même chose !

Lwiis: S’il n’y a pas de paix intérieure, il n’y aura pas de paix extérieure : la plupart des gens n’ont pas de paix intérieure et la plupart sont dans la colère….

TP : Tant que nous ne comprendrons pas que la véritable force vient de la compassion et de la sagesse, tant que nous croirons que la seule force brutale montre à quel point nous sommes grands, forts et spéciaux, ce sera difficile….. Que dire ? Les brutes gagnent. De plus, pour développer une sagesse et une compassion authentiques, il faut de la pratique, comme tout muscle, il faut l’exercer. Si nous ne l’exerçons pas, si nous exerçons plutôt notre capacité à nous mettre en colère, à éprouver du ressentiment, etc., les résultats seront négatifs. Regardez les médias, regardez les divertissements, quel genre de divertissements les gens, et surtout les jeunes, regardent-ils ?

Tout est très agressif et brutal, et la solution aux difficultés est de tout faire sauter… C’est le message que nous recevons : être capable de détruire les autres nous rend spéciaux. Alors, qu’est-ce que vous pouvez espérer ?

Seulement des films, des jeux vidéo et tout ce genre de choses, donnant le message que la solution à notre problème est de détruire l’autre. L’opposition, alors nous serions heureux pour toujours. Que faire ? Toute notre vision de ce qui est important et d’où se trouve le bonheur authentique, est endommagée, nous avons complètement déformé et perverti toute notre compréhension de ce qu’est le bonheur authentique. Cette fausse idée du bonheur est donnée aux gens et ils y croient parce que c’est ce que disent les personnes qu’ils admirent et qui, pensent-ils, doivent connaître les réponses…..

C’est donc là que nous nous retrouvons dans des conflits, des conflits et encore des conflits. Personne n’écoute les autres, chacun pensant qu’il a raison et que l’autre a tort. Il n’y a aucune compassion, aucune compréhension, juste de la tristesse, une grande tristesse dans le monde. Elle est créée, non pas par les lions et les tigres ou les animaux sauvages, mais par les êtres humains qui se considèrent tellement supérieurs : vous savez, nous sommes des Homo sapiens, nous sommes sages, mais où est la sagesse ? Cependant, je veux dire que nous avons une sagesse innée, comprenez-moi bien : nous ne sommes pas mauvais par nature !

Notre sagesse innée et compréhensive se fait menotter, et polluer, et nous ne savons pas comment la nettoyer parce que nous pensons que la pollution est une bonne chose, parce que nous ne savons rien d’autre sur l’or pur. Que faire … Lwiis tu as étudié tant de livres, regarde derrière toi, tous ces volumes ! Toute cette compréhension vient de tant de domaines différents, alors qu’en penses-tu ? Comment pouvons-nous monter vers davantage de lumière, au lieu de descendre de plus en plus bas dans l’obscurité à nouveau ?

Lwiis : Le problème est que notre connaissance est seulement une connaissance théorique, pas une connaissance pratique, Nous disons que nous devrions vivre en paix, mais si nous ne sommes pas en paix avec nous-mêmes, comme vous l’avez dit : comment pouvons-nous vivre en paix avec les autres ?

TP : Oui exactement, comment nous donner la paix ? C’est là le problème. Il y a tellement d’agressions extérieures sur les sens, qui n’apportent pas la paix. Physiquement il n’y a pas de paix parce que tout le monde se précipite, et intérieurement il n’y a pas de paix parce qu’on ne nous donne pas le conduit vers la paix. Tout le temps que nous passons axés sur la télévision, l’iPhone et l’ordinateur, tout cela est à l’extérieur, dehors, dehors …..  Et nous n’avons jamais l’occasion d’aller à l’intérieur, c’est là notre problème, et c’est ce qui arrive. Nous avons tout gâché, nous nous faisons du mal, nous faisons du mal aux autres et nous détruisons la planète entre-temps… Que faire ?

Lwiis : Nous avons lu une déclaration de votre part sur cette guerre, dans laquelle vous dites : “La souffrance du peuple dépasse vraiment l’imagination ! Cependant, avec la souffrance vient la force”.

La plupart du temps, nous avons l’impression que cette force ne nous vient qu’au prix de la souffrance. Est-il inévitable d’en passer par là pour acquérir la force ?

TP : Non, certaines personnes ont une grande force intérieure et n’ont jamais souffert, elles apportent cela avec elles dans leur vie. Le fait est que, si nous souffrons, soit nous pouvons sombrer et devenir de plus en plus contrariés, en colère et déprimés, soit nous pouvons utiliser cette souffrance comme une sorte de force pour cultiver notre compassion, en reconnaissant : “Je souffre, tant d’êtres souffrent, quelle tristesse ! ” Cela rend notre cœur plus large et plus vaste au lieu d’être pleine auto-commisération. Dans ce cas, on devient extrêmement fort, invincible, quelle que soit la quantité de souffrances qu’on rencontre chez les autres : c’est comme une flamme qui devient de plus en plus vive. On connaît des gens de ce type, qui passent leur temps à s’occuper réellement des souffrances des autres : ils ne sont pas tristes, ils sont au contraire pleins d’amour, de joie, parce qu’ils ont cette compassion intérieure, et cette sagesse au-dedans qui émane de leur être.

Certes, la souffrance en elle-même peut aller dans l’autre sens, elle peut conduire à un sentiment d’absorption totale dans sa propre misère ; on peut devenir amer, en colère, contrarié et blâmer les autres, ou bien, au contraire, elle peut conduire à une grande expansion du cœur, qui nous remplit : nous devenons juste l’incarnation de la compassion authentique, et de la sagesse qui va avec. L’introspection augmente la compréhension, et cette compréhension augmente également notre empathie et notre amour pour les autres. Ainsi, bien que la souffrance puisse disparaître, elle est en soi neutre, l’important est ce que nous en faisons.

Lwiis : Jetsunma vous continuez à dire dans la même déclaration : “J’espère que les gens comptent sur leur bonté innée, j’espère que les gens peuvent s’entraider et être solidaires les uns des autres dans cette situation très difficile. C’est le moment de montrer sa force intérieure, pas seulement en tant que membre d’une religion ou d’un groupe ethnique, mais de prouver son unité en tant qu’être humain.”

-Si les personnes des deux côtés du conflit veulent se serrer les coudes, mais que les dirigeants et les circonstances les en empêchent… que faire ?

TP : Mon sentiment est que, au moins, ils peuvent prier pour le bien-être de tous les gens impliquées dans le conflit. Ils ne doivent pas s’exprimer d’une manière ordinaire : “Nous voulons que notre côté gagne, et que l’autre côté souffre…”. Ce n’est pas comme cela, car nous devons reconnaitre avec compassion la souffrance des deux côtés, en souhaitant, en priant vraiment du fond du cœur pour que la situation soit résolue, et que les deux côtés finissent par retrouver la paix et l’unité.

Ainsi, lorsque le conflit prendra fin, les personnes des deux côtés du conflit devront faire tout ce qu’ils pourront pour aider les deux parties, sans se laisser prendre dans une propagande ou une autre, car tout cela n’est qu’économie et politique, cela n’a rien à voir avec les personnes. Les gens en tant que ‘personnes’ sont juste des gens, nous sommes tous des êtres humains partageant cette planète ensemble. Qui a décidé de la division ?  “Voici la frontière, voici mon pays, voici ton pays !” C’est juste un pays, juste une terre, c’est la politique qui crée ce genre de comportement.

Nous sommes tous également des êtres humains avec des espoirs et des craintes, et le désir de vivre avec notre famille, de bien faire et ainsi de suite… Tout le monde est pareil. Donc, nous devons méditer sur l’amour et la compassion pour tous les êtres et surtout, si vous êtes pris dans le conflit pour l’autre côté, alors pensez ceci : “ils doivent être bien et heureux”, en reconnaissant clairement que tous ces politiciens, militaires et gens de l’armement ainsi que les entreprises derrière eux font fortune chaque fois qu’il y a une guerre. Ils pervertissent la vérité pour leurs propres bénéfices, ce ne sont que des mensonges, cela arrive tout le temps. Nous ne devons pas croire la propagande, ainsi, gardez le cœur ouvert !

Lwiis : Dans quelle mesure les dirigeants politiques de tous bords sont-ils responsables de cette guerre et de ses dégâts ?

TP : Bien sûr, les guerres sont créées par les politiciens, qui visent leur propre pouvoir et contrôle, ainsi que par les militaires : ceux-ci doivent montrer pourquoi le peuple a besoin de l’armée. S’ils n’ont pas de guerre, ils ne peuvent pas prouver pourquoi ils sont nécessaires. Il en va de même, comme nous venons de le dire, pour de nombreux fabricants d’armes qui s’enrichissent énormément, grâce à la mort et à la dévastation que leurs produits créent. Ils s’en moquent : plus il y a de morts, plus cela montre l’efficacité de leurs armes, et plus on devra les acheter. Ainsi, tout cela est motivé par l’avidité du pouvoir et par l’économie, et n’a rien à voir avec une situation réelle. Tout est créé par ces gens qui ne sont jamais allés eux-mêmes près des zones de guerre.

Ils sont assis dans leurs bureaux de grand luxe et ils utilisent tous les gens comme des pions dans un jeu d’échecs, qui peuvent simplement être jetés quand on n’en a plus besoin : “Mettez ce bataillon par là !” sans penser qu’il s’agit de jeunes hommes. Ils ne se soucient pas du nombre de personnes qui vont au front, tant qu’ils peuvent à la fin gagner un peu plus de territoire ou une soi-disant “victoire”, en tuant autant de personnes que possibles, y compris bien sûr, de nos jours, des femmes et des enfants. Ce n’est même plus comme autrefois, lorsque vous aviez des soldats qui se rencontraient au moins face à face avec des arcs, des flèches et des épées. Pour eux, c’était un choix d’être soldat. De nos jours, rien de tel, vous êtes conscrit, vous ne voyez jamais les gens que vous tuez, et vous tuez des gens qui sont totalement innocents de toute implication dans la guerre. Ils sont juste là par hasard, comme tous ces enfants qui se font abattre. Des centaines de milliers de personnes innocentes sont tuées, et pourquoi ? A cause d’un mandat des politiciens, et de l’impulsion économique derrière. C’est tout ce dont il s’agit, cela n’a rien à voir avec ‘qui a raison’ ou ‘qui a tort’, c’est juste une question de pouvoir. Quelle tristesse ! Je le répète, c’est tout ce dont il s’agit, il ne s’agit pas de savoir qui a raison ou qui a tort, il s’agit juste de POUVOIR. C’est consternant !  Nous n’apprenons jamais, c’est pourquoi c’est si terrible. Nous croyons à ce non-sens qui est enchevêtré dans la politique. Personne ne le remet en question !

Lwiis : Pour cette guerre ou toute autre guerre, les gens disent qu’il s’agit d’une sorte de karma, auquel nous ne pouvons échapper…

TP : Le karma est individuel, il ne s’agit pas d’ajouter quoi que ce soit à la haine et à l’esprit de parti, qui ont été promus par les médias – c’est là un point important. Ce n’est pas « l’empire du bien contre l’empire du mal ». Il s’agit juste de personnes qui ont été forcées de se mettre dans cette situation, la plupart d’entre elles ne le voulant pas du tout, elles ne le demandaient pas. Ces soldats sont forcés de le faire.  Nous avons affaire à des personnes qui sont poussées par les politiciens à accomplir des actes sombres, à tuer d’autres personnes. Ce n’est pas qu’ils choisissent de le faire, ils voudraient probablement aller à l’université ou continuer leur vie.  Ils ne veulent pas se promener de ci, de là en tuant des gens, pourquoi donc le feraient-ils ? Ils sont obligés de le faire, car s’ils ne le font pas, ils seront exécutés par leur propre camp, comme cela s’est produit lors des deux guerres mondiales précédentes. Si vous disiez “Je ne veux pas tuer”, vous étiez abattu par votre propre camp !

Laissez-les demeurer eux-mêmes, ce ne sont que des êtres humains comme les autres, allez donc ! Ils ne font pas partie d’un empire du mal. Donc, nous devons avoir de la compassion pour les deux parties du conflit, nous devons prier pour que cela se termine bientôt et qu’ils guérissent, parce que ces ruines et ces épanchements de sang, à quoi servent-ils ? Priez pour que tout cela se termine très vite, et qu’il y ait une fin à l’inimitié.

Ne vous connectez pas sur cette énergie sombre que les médias essaient de faire « monter en neige » comme la peur, la paranoïa, la colère et toutes ces forces très négatives dans l’esprit. Ne laissez pas ces forces pénétrer dans votre mental. Développez votre compassion et votre empathie, et ayez de la tristesse pour tout le monde, pas seulement pour les Ukrainiens mais aussi pour les Russes.

Lwiis : Vous venez de dire qu’on pervertit la vérité. Pourquoi la vérité est-elle toujours une des premières victimes de la guerre ?

TP : Parce que la vérité a un grand pouvoir. La vérité, c’est que nous sommes tous des êtres humains, nous devrions enfin apprendre à nous entendre en harmonie. La guerre ne résoudra rien. Les fabricants d’armes ne veulent pas entendre parler de la vérité parce qu’ils veulent que les gens achètent des armes. Les militaires ne veulent pas en entendre parler non plus parce qu’ils veulent une armée, les politiciens ne veulent pas en entendre parler parce qu’alors, ils ne pourront plus accroître leur territoire par des conquêtes. Donc, personne ne veut entendre la vérité qui est simplement que la terre nous appartient à tous. En droit, il n’y a pas de frontières.  Qui a créé les frontières ? Les politiciens disent : « Ce côté-ci est ton côté, celui-là est le mien !», mais la terre elle-même est juste la terre, regardez-la d’en haut : où sont les frontières ? Ainsi, la vérité est que nous sommes tous des êtres humains et que nous partageons tous ensemble cette planète. Avons-nous, après tous ces millénaires, appris à vivre ensemble ? Non !

Parce que les fabricants d’armes distillent toutes ces contrevérités, en affirmant que l’autre côté est composé de peuples méchants, donc, c’est bien de leur faire du mal. Qu’est-ce que vous pouvez dire ?  « Ils ne sont pas des humains comme nous, nous sommes de vrais bons humains et eux sont des sous-hommes, donc c’est normal de les tuer, ou de les amener sur notre territoire pour que nous puissions leur apprendre à être comme nous ». Mais c’est un mensonge, n’est-ce pas ? Un non-sens total !

Lwiis : Les frontières sont toujours là, donc, vivrions-nous depuis le début dans une non-vérité ?

TP : En fait, toute notre vie est fondamentalement une non-vérité, et nous ne savons pas nous arrêter, afin de penser à ce qui est réel… De cette façon, nous créons des problèmes sans fin, nous en avons toujours qui s’ajoutent. Si vous lisez l’histoire, comme vous le savez très bien, il ne s’agit que de conquête, de domination et de destruction des civilisations, des autres peuples et ainsi de suite, je veux dire… C’est sans fin. Et aujourd’hui, nous voyons que ça ne s’est pas arrêté, nous continuons les mêmes vieilles histoires, comme les enfants qui détruisent les châteaux de sable des autres enfants… Parce que leur château de sable est plus beau que le mien, alors je suis prêt à détruire ce château de sable. Vous savez, cela ne revient qu’à une mentalité de petits enfants !

Lwiis : Dans cette guerre comme dans toute autre, les personnes de bonne volonté hésitent : doivent-elles prendre position pour un camp, ou rester neutres ? Que leur conseillez-vous de faire ?

TP : Encore une fois, comme nous venons de le dire, c’est à chaque individu de choisir ce qu’il veut faire, mais il ne doit pas être partisan, il doit essayer de garder son esprit ouvert, et voir combien les deux parties souffrent dans un conflit. Et ce n’est pas l’un qui a raison, ou l’autre qui a tort. Les deux parties ajoutent à ce problème, à cette illusion : “Nous avons raison, donc vous avez tort” ! C’est l’un des principaux problèmes. Tout ce qui est bien est d’un côté, le mauvais est de l’autre. Mais ce n’est jamais comme cela, ce sont juste des êtres humains qui luttent et qui sont forcés de faire des choses qu’ils ne voudraient pas faire, comme nous l’avons dit, forcés par le gouvernement. Donc, gardez un cœur ouvert à tout le monde, c’est ce que nous n’avons cessé de dire, ne vous laissez pas entraîner par le “nous avons raison, vous avez tort”. Mais le point principal est de voir que tout le monde souffre, même quand l’un gagne et l’autre perd, même les gens qui sont victorieux souffrent parce qu’ils ont perdu beaucoup. Dans cette violence, nous perdons en même temps notre dignité d’êtres humains. Il n’y a rien de bon à dire sur la guerre, vraiment ! Elle détruit tellement de choses à de nombreux niveaux, pas seulement physique, mais aussi psychologique.  Par exemple, les gens ne se sont jamais remis de la première ou de la deuxième guerre mondiale. Ils ont porté le traumatisme en eux, psychologiquement. Les dégâts étaient à l’intérieur, pas seulement à l’extérieur. Et c’est pourquoi il est si triste que nous n’en ayons pas tiré de vraies leçons.

Lwiis : Pour justifier la guerre, on parle souvent d’une guerre juste, comme on parle d’une colère juste. La guerre dans la Bhagavâd-Gîtâ est considérée par les hindous comme une guerre juste car la Gîtâ est une écriture sacrée. Les religions abrahamiques vont même plus loin et parlent de guerre sainte. Pensez-vous qu’il existe quelque chose comme une guerre juste ou une guerre sainte ?

TP : La Bhagavâd-Gîtâ a été écrite d’un point de vue hindou, considérant que chacun doit accomplir son propre devoir, son dharma, qui est fonction de l’étape de la vie où il se trouve. Ensuite, il y a le système des castes : nous ne devrions pas essayer de faire un autre métier que celui de notre famille, car ce serait le dharma d’un autre. Dans la Gîtâ, Arjuna fait partie des kshatriya-s, la caste des guerriers, donc son dharma est de faire la guerre. C’est la logique derrière tout cela. Le fait que les deux camps aient été complètement anéantis n’était pas leur problème, car ils suivaient leur dharma. Le bouddhisme ne pense pas comme ça. Il dit que tuer est tuer. C’est une action négative qui va créer des résultats karmiques négatifs, et plus de meurtres dans le futur. Par conséquent, il n’est pas juste, même si vous faites partie d’une caste de guerriers, d’aller tuer des gens sous prétexte que vos ancêtres étaient tous des soldats.

Bien sûr, les pays bouddhistes font la guerre autant que les autres, je ne prétends pas qu’ils soient de grands pacifistes. Comme les autres, ils font la guerre pour le gain, pour le pouvoir, pour l’argent ; cependant, ils ne prétendent pas que ce soit le dharma, ou le Bouddha qui aient conseillé cela… Nulle part dans son enseignement nous ne trouvons que ce soit une bonne chose de partir en guerre et de tuer autour de soi, inspiré par la colère et la haine. Le Bouddha a enseigné que la haine ne se guérit pas par la haine, mais que la haine se guérit par la non-haine. De son vivant, il a agi pour réconcilier les gens, afin que les factions ne se fassent pas la guerre. Cela pouvait être pour la possession d’une rivière, par exemple. Il a demandé à un moment donné aux deux groupes en conflit : “Cette eau est-elle plus précieuse que votre sang lui-même ?”

Avec tout cela, je pense que faire la guerre au nom de la religion est un piège absolu. C’est la pire chose qui puisse être : prendre ce qui représente la paix et l’amour et le transformer en manœuvres guerrières et en destruction des autres. Tout cela parce que ‘j’ai’ raison, que mon Dieu est mon Dieu et que le vôtre a tort. C’est tellement puéril ! Les êtres humains n’ont pas vraiment grandi, c’est là leur tragédie.

Lwiis : Qu’en est-il de la notion de guerre sainte dans la tradition abrahamique, chrétienne, etc. ?

TP : (D’un ton irrité) : Il n’y a aucune guerre qui soit sainte ! Qu’en est-il de ces gens qui ont été tués par les juifs ? Ils vivaient paisiblement chez eux, et le dieu juif leur a dit : “C’est bon, je vous ai donné ce pays, vous pouvez aller tuer les gens là-bas !”. Quel genre de dieu est-ce là ? Ce Dieu n’a-t-il pas créé aussi les gens qui vivaient dans ce pays ? Pourquoi les Juifs de cette époque étaient-ils si partiaux, pleins de préjugés, partisans ? Parce que leur dieu était un dieu tribal. Il avait l’habitude de dire : “Ceci est mon petit groupe, cela n’est pas mon petit groupe”. Par la suite, on a compris que Dieu devait être un Dieu universel, aimant tout le monde de la même manière. Cela a créé tellement de haine et de division. Cela n’a pas apporté l’harmonie, la paix et l’amour. Il n’a pas apporté ce dont ils parlent tous… Regardez comment ils se comportent ! Voilà, cher ami, je sais que vous êtes professeur de religions. Voyez ce que vous pouvez y faire !

Et considérez ce que le dieu juif a fait avec le pauvre peuple juif ensuite ! Est-ce une façon de montrer vos faveurs à votre propre peuple ? Je pense que vous seriez bien mieux sans lui ! Ce dans quoi les religions s’empêtrent, c’est régulièrement la croyance suivante : “J’ai le vrai Dieu, leur(s) dieu(x) est(sont) faux !”. “C’est tellement puéril, et aussi tellement douloureux ! Cela crée tant de chagrin, tant de souffrance, et cela n’aide vraiment personne. En effet, personne n’écoute l’autre camp, chacun restant tellement empêtré dans son propre point de vue extrêmement étroit. ” Nous avons raison, nous sommes le peuple élu, nous pouvons faire ce que nous voulons avec les autres personnes car elles ne sont pas le peuple élu !” Quelle sorte d’attitude d’esprit est-ce là ? Qui veut encore de ce genre de religion ? Beaucoup de gens n’en veulent plus, et je n’en veux pas non plus !

Lwiis : Le dharma bouddhiste n’autorise-t-il pas la guerre, comme dans la Bhagavâd-Gîtâ et le Mahâbharata ? 

TP : Pas du tout ! Et regardez ce qui s’est passé à la fin du jour dans la BhagavâdGîtâ: les deux camps ont été tués, à quoi cela a-t-il servi ? Toutes ces pauvres femmes laissées sans mari, sans père, sans fils… Pour quoi faire ? C’était seulement une guerre stupide, avec deux familles qui se battaient l’une contre l’autre ! Est-ce un exemple de la façon dont nous devrions agir ? Personnellement, je pense que c’était un exemple très triste.

Lwiis : Cependant, à l’époque du Bouddha, il y avait tant de guerres menées par ces rois qui étaient liés au Bouddha !

TP : C’était parce qu’ils étaient des rois et des politiciens ! Comme les politiciens qui se disent chrétiens, mais dont l’attitude n’a rien à voir avec ce que le Christ a dit très clairement “Aime ton prochain comme toi-même” et “Pardonne à tes ennemis” …Mais qui les écoute ? Et pourtant, ils pensent qu’ils sont des chrétiens pleins de dévotion. De même dans les pays bouddhistes, les gens ont foi dans le Bouddha, tout en ayant davantage foi en même temps dans la richesse, le pouvoir, l’exploitation du pays voisin et la soustraction des biens des autres pour les faire entrer dans leur propre pays.

C’est parce qu’ils sont humains, c’est leur côté humain, pas leur côté bouddhiste… La cupidité, la jalousie, l’envie, la compétition, ce sont toutes ces pollutions de l’esprit qui les submergent. La nature humaine est la nature humaine. C’est-à-dire que même s’il existe une très bonne conduite éthique exprimée dans un langage très simple que tout le monde peut comprendre, cela ne signifie pas que tout le monde va la suivre. Il est toujours conseillé d’être bon, mais combien de personnes y parviennent ?

Lwiis : Dans votre livre “La vie quotidienne comme pratique méditative” vous dites (p.80) : “Nous ne pouvons pas changer le monde, mais nous pouvons transformer notre esprit”. Comment pouvons-nous mettre en pratique ce conseil ou plutôt cette formule, surtout en cette période de guerre ?

TP : En fait, nous ne pouvons pas changer les autres, mais nous pouvons nous changer nous-mêmes ; c’est possible, pour sûr ! Par exemple, quoi qu’il arrive dans la journée, quelle que soit la situation qui se présente, nous pouvons observer notre réponse, notre réaction. Et si la réponse est négative, si nous sommes en colère, contrariés, paranoïaques, et que nous reconnaissons que c’est un état d’esprit très négatif… voilà, nous y sommes ! Nous pouvons reconnaître ce que nous ressentons : parfois, mon ordinateur fait des choses très bizarres et cela m’ennuie beaucoup ! Mais, au moins, je reconnais ce qui se présente, la frustration, la colère, et je l’accepte. Ensuite, nous prenons la décision de remplacer cet état d’esprit négatif par un état d’esprit positif. Nous sommes aux commandes, nous ne sommes pas seulement l’esclave de nos pensées et de nos sentiments. Nous en devenons lentement, progressivement, le maître. Nous pouvons transformer la colère en faisant preuve d’indulgence et de tolérance, la peur en reconnaissant qu’elle représente principalement l’anticipation d’un événement futur inconnu. Ce n’est pas une réalité. La plupart de nos peurs et de nos paranoïas ne sont pas liées à ce qui se passe en ce moment. C’est de l’anxiété à propos de ce qui pourrait arriver dans le futur, mais qui n’est pas encore arrivé. En ce moment, nous sommes ici. Alors, nous nous “branchons” sur cette colère, cette paranoïa et cette négativité, à cause des médias. Les médias mettent toujours l’accent sur la négativité, en nous disant : « Oh, peut-être que demain, ceci va se produire ! Peut-être que demain, il y aura une nouvelle épidémie de Covid, peut-être que demain il y aura un effondrement économique complet ». Mais cela n’est pas encore arrivé, et ils ne savent pas, ils veulent juste vendre leurs journaux et leurs programmes de télévision…

D’un autre côté, il y a tant de bonté dans le monde, en ce moment même, il y a tant de beauté dans le monde.  Il y a tant de gens qui font tellement de belles choses, avec un cœur totalement désintéressé, plein de compréhension, dont personne ne parle, dont personne ne se soucie : “Ce n’est pas une nouvelle”, disent-ils… “seules les mauvaises nouvelles sont des nouvelles” ! Donc, nous devrions reconnaître cela, et nous ne devrions pas être entraînés dans cette obscurité et cette négativité. Cela n’aide personne. Cela ne nous aide pas, et cela augmente l’énergie négative dans le monde, qui est déjà si vaste. Nous devons faire le contraire. Nous devons faire une vraie méditation sur l’amour et la compassion, envoyer de la lumière au monde. Nous devons vraiment imaginer le monde entouré de lumière, d’amour et de paix, et le souhaiter vraiment, pour tous les êtres, pas seulement de notre côté. Bien sûr, nous le faisons pour les personnes que nous aimons et dont nous nous occupons, mais agissons ainsi également pour tout le monde, car chacun a une famille et d’autres personnes qu’il aime et dont il se soucie. Nous devons leur souhaiter sincèrement à tous de bien se porter. Cette période est l’occasion de pratiquer toutes ces qualités de cœur, notamment la patience, la compassion, l’empathie, etc. Ne pas sombrer dans le désespoir, le désespoir n’aide personne. Alors, nous aussi, nous pouvons changer, nous avons le choix ! [S’est exclamée Tenzin Palmo avec de la flamme dans les yeux]

L’important n’est pas notre situation extérieure, mais notre réponse intérieure. De plus, nous pouvons pratiquer le tonglen, respirer l’obscurité et envoyer la lumière. Il y a aussi ce genre de choses que nous pouvons faire.

Lwiis : Voulez-vous dire que, en faisant de la méditation, nous pouvons aider le monde à avoir davantage de paix en cette période de guerre ?

TP : Bien sûr, parce que nous envoyons des vibrations positives, alors que le monde est piégé dans des vibrations négatives. Celles-ci n’aident personne. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une pensée positive. C’est pourquoi, dans toutes les religions, on prie, et on ne prie pas seulement, espérons-le, pour que son propre camp réussisse. On prie pour qu’il y ait plus de lumière et de paix dans le monde. Si nous pouvons faire cela, alors, psychiquement, nous envoyons de la bonté dans le monde, au lieu de toute la paranoïa et la haine qui sont attisées par les militaires. Les militaires et les gouvernements veulent que les gens soient paranoïaques, car lorsque vous êtes paranoïaques, vous êtes très malléables. Ils viendront et diront : “Eh bien, nous allons établir telle ou telle règle, de sorte que nous ayons davantage de contrôle et que nous vous aidions et vous protégions”. Et les gens cèdent leur liberté à ces politiciens, parce qu’ils ont peur. Il s’agit donc d’une conspiration, dans le sens où les gouvernements du monde entier y veillent et l’encouragent. De plus, ils font faire aux gens des choses que, normalement, personne ne voudrait faire. Ce n’est pas quelque chose de nouveau, mais maintenant, parce que les médias viennent directement dans votre salon, c’est plus intense. Ces messages négatifs sont envoyés en permanence pour rendre les gens anxieux, paranoïaques et en colère. C’est juste en face de vous et les gens l’écoutent, ils ont très peur. Cela s’imprègne dans les mentalités, et c’est à cela que nous devons résister, en envoyant des pensées positives au lieu de toute cette négativité.

Lwiis : Donc, vous conseillez de ne pas écouter les nouvelles et les médias de masse ?

TP : Je pense que les gens devraient les écouter un minimum et ne pas rester scotchés devant leur télévision à regarder un compte-rendu détaillé de ce qui se passe dans la guerre, ce qui n’est encore une fois que de la propagande. Nous n’avons pas besoin de rester assis à regarder et à ingérer toute cette négativité. Nous savons ce qui se passe à la guerre. Il vaut mieux rester assis à méditer, à envoyer de l’amour.

Lwiis : la plupart des nouvelles sélectionnées sont de mauvaises nouvelles…

TP : Bien sûr. Notre esprit est la chose la plus précieuse que nous ayons, notre “cœur-esprit”. Pourquoi le remplissons-nous constamment de poison ? Pourquoi devons-nous nous laisser aller à cette peur, cette paranoïa et cette anxiété ? Pourquoi nous infliger cela à nous-mêmes ? C’est là même que nous vivons, à l’intérieur de notre cœur-esprit. Quel genre d’environnement créons-nous, dans lequel nous vivons ? Pas étonnant que nous soyons stressés.

Lwiis : Vous dites dans ce livre (p.81) : “On peut considérer que les personnes qui nous agacent et nous causent beaucoup de problèmes sont nos meilleurs amis. Ce sont ces personnes qui nous aident à apprendre à nous transformer. Est-ce là le véritable sens de la célèbre formule du Christ : “Aimez vos ennemis” ?

TP : Il est facile d’aimer les êtres chers qui nous entourent, tout le monde le fait, mais le défi est de reconnaître la bonté intérieure de chacun et de leur donner de la compassion aimante. “Tous les êtres vivants” signifie aussi les animaux, ceux qui vivent dans l’eau ainsi que les oiseaux, etc. Tous les êtres veulent être heureux et ne pas souffrir. Ainsi, nous donnons de l’affection à tous les êtres. Ensuite, en plus, nous pouvons apprendre la patience et l’indulgence, c’est une qualité spirituelle très importante. Comme l’a dit Jésus : “Seigneur, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font”. Cette qualité de tolérance, nous ne pouvons la cultiver et la développer que si des gens nous irritent ! À moins que les gens ne nous causent des ennuis, nous ne pouvons pas développer ces qualités très spéciales. C’est une très bonne opportunité et de cette façon, ils sont nos meilleurs amis spirituels, parce qu’ils nous aident à pratiquer le chemin, c’est ce que cela signifie.

Lwiis : Vous dites (p87) : ” L’une des facettes du bouddhisme qui le distingue des autres religions, est qu’il ne se contente pas de nous dire d’aimer notre prochain comme nous-mêmes, il nous dit comment le faire.

Dans ce cas, le bouddhisme peut-il être l’aspect pratique des autres religions, qui aide leurs croyants à atteindre leurs idéaux spirituels et religieux sans les convertir ? Et peut-on alors dissocier les pratiques bouddhistes de leurs aspects dogmatiques et théoriques ?

TP : Oui, en effet ! Il est certain que de nombreux chrétiens et hindous ont également appris la méditation de l’amour et de la bonté, ainsi que la méditation de la compassion par la respiration, qui consiste à inspirer la souffrance et à expirer la lumière pour guérir les gens. Développer l’amour et la bonté pour tous les êtres ne nécessite aucune tradition particulière. C’est un besoin universel, que nous croyions ou non en une religion donnée. Les bouddhistes ont des techniques pour développer la bonté, la compassion, la joie et la sérénité, pour accroître ces qualités. Ils donnent toutes sortes de méthodes pour développer la bonté du cœur.  Chaque être humain doit cultiver ces qualités. C’est très important. De nos jours, la pleine conscience, cette méditation qui explique comment calmer l’esprit, est enseignée partout. En Occident, elle est certainement enseignée dans les prisons, dans les écoles, [avec un sourire amusé] même dans l’armée… et dans de grandes organisations comme Google. Ce n’est pas qu’ils veulent que les gens atteignent la libération. Ils essaient de réduire leur niveau de stress. Beaucoup de gens ne savent même pas qu’il s’agit de pratiques bouddhistes traditionnelles, car elles sont dispensées dans un environnement laïc. Néanmoins, elles aident à réduire leur niveau de stress, à apprendre comment être plus conscient, plus présent… Cela aide à devenir un meilleur être humain, à avoir un esprit sain, à avoir un esprit clair et un cœur ouvert. Ainsi, ce développement de la conscience aimante est utile à tout le monde. On pourrait dire que c’est le cadeau du bouddhisme au monde. En aucun cas vous ne pouvez dire que vous devez être bouddhiste pour le pratiquer. Vous dites simplement : “Ce sont des pratiques utilisées par notre lignée, c’est là, essayez !” Et cela fera de vous une meilleure personne, un meilleur chrétien, un meilleur hindou, un meilleur musulman…

Lwiis : Toutes ces techniques de compassion aimante et de pleine conscience proviennent-elles du bouddhisme ?

TP : Oui, en grande partie ! Cela ne veut pas dire que tout le monde doive se plonger dans les détails précis des techniques décrites dans les sutras. Mais l’idée de base, ce qui se cache derrière ces sutras pourra être d’un grand bénéfice pour les gens, afin de savoir comment être plus conscient, et en même temps ouvrir le cœur, ressentir de l’empathie pour tous ceux qui souffrent. Je ne veux pas souffrir, tu ne veux pas souffrir, et cela inclut les animaux, qui ne veulent pas souffrir non plus. Ce sentiment s’étend de nous, à tous les êtres, car nous avons cela en commun. C’est ce que nous souhaitons aux autres, et nous faisons en sorte que les autres se sentent mieux. Les négativités dans notre esprit nous font du mal, ainsi qu’aux autres. Elles sont comme un nuage noir qui obscurcit le soleil. Il existe également de nombreuses méthodes pour gérer notre colère, notre avidité et notre jalousie. Il existe des pratiques que nous devons suivre pour entraîner notre esprit.

Lwiis : Nos propres négativités nous font-elles aussi du mal ?

TP : Nous pouvons avoir l’impression superficielle qu’elles sont OK, mais si nous nous sentons en colère, avides ou jaloux, ce n’est certainement pas un état d’esprit heureux. C’est un esprit très perturbé. En sanskrit, cela s’appelle klesha. Cela signifie quelque chose qui vous blesse, qui vous afflige, comme un soleil très chaud qui vous brûle. Donc, ces émotions négatives nous conduisent dans un état d’agitation.

Lwiis : Concernant le but de la méditation vous dites (p104) : “Le but essentiel de la méditation est de créer une conscience et une connaissance de soi qui nous permettent de rompre avec nos habitudes et de répondre aux situations avec une plus grande ouverture.”

Comment briser des habitudes si profondément ancrées en nous et peut-être depuis la naissance ? Et combien de temps cela peut-il prendre ?

TP: Bien sûr, nous sommes profondément habitués, depuis l’enfance, et dans la perspective bouddhiste, depuis les vies antérieures aussi. Certaines habitudes sont profondément ancrées en nous, sans aucun doute. Cependant, selon les neurosciences, nos voies neuronales sont encore plastiques, elles peuvent être changées et retravaillées. Nous pouvons voir ces habitudes comme empruntant toujours cette autoroute – si nous voyons quelque chose qui nous plaît, nous le voulons toujours, si quelque chose nous agace, nous sommes très en colère – nous comprenons que c’est instinctif. Pourtant, toute cette avidité et cette colère ne nous apportent pas le contentement escompté et nous n’en voulons plus ! Nous voulons être plus patients et plus calmes, nous voulons être plus satisfaits, plus reconnaissants et moins avides. Alors, nous pouvons décider : “OK, je vais prendre une autre route, une nouvelle piste”. Au début, lorsque nous nous engageons sur la nouvelle voie, parce qu’elle n’a jamais été empruntée auparavant – nous essayons d’être patients face aux choses ennuyeuses au lieu d’être en colère et irrités ‑ elle semble complètement nouvelle au début. Puis, elle devient familière et au bout d’un moment, nous créons un chemin. D’ailleurs, comme nous n’empruntons plus l’autoroute, l’herbe commence à pousser sur elle et elle devient abandonnée. Nous devons avoir nous-mêmes la détermination, et cela devient possible.

Dans ce sens, on a fait cette expérience avec un groupe de gens ordinaires qu’on a juste pris dans la rue. On leur a montré des vidéo-clips de choses très perturbantes. Les neuroscientifiques ont suivi leurs réactions à l’aide de l’imagerie cérébrale et ils ont constaté que, immédiatement, les parties du cerveau concernées par la colère, la peur et ces énergies très négatives brillaient, alors que les sujets étaient très perturbés, excités et en colère. Ils ont alors commencé à enseigner à ces personnes la méditation de bienveillance. Ils se sont mis à la pratiquer tous les jours, mais pas pendant de longues périodes, car il s’agissait de personnes ordinaires qui ne pouvaient pas méditer longtemps. Vous commencez à envoyer de l’amour à vous-même, puis aux personnes que vous aimez, puis aux personnes neutres, et enfin au monde entier. Puis, après quelques semaines seulement, on les a testés à nouveau, en leur montrant des séquences de choses qui vous bouleversent et vous mettent en colère. À leur grand étonnement, les parties du cerveau concernées par la colère, etc. n’ont pas brillé, et celles concernées par l’amour et la compassion ont brillé de mille feux. Ainsi, en peu de temps, leurs voies neuronales avaient complètement changé. L’habitude d’être bouleversé par quelque chose qui vous met en colère s’était transformée. Pourtant, ce n’étaient que des gens ordinaires !

Voici un autre exemple, dont nous parlions ici justement hier. Certaines personnes ont dit qu’elles avaient un gros problème avec la colère, qu’elles se mettaient très vite en colère. Elles ont donc participé à une retraite sur l’amour bienveillant. A la fin de la retraite, elles sont sorties en disant : “Oh, ce ne sont que des mots, quelle perte de temps totale c’était !”. Ces personnes sont sorties de la retraite et ont atteint un parking. Au moment où elles allaient se garer, une autre voiture est arrivée et a pris leur place. Leur réaction immédiate fut : “Oh ! Puissiez-vous être bien et heureux !” Elles ne pouvaient pas le croire ! Comment cela était-il possible ? Elles auraient dû klaxonner, crier et hurler ! Leur première réaction a été d’être heureuse que cette autre personne ait obtenu une bonne place de parking, et elles se sont senties réjouies de cela. Donc, le point est : “Oui, nous pouvons changer !” Bien sûr, nous pouvons le faire ! Le Bouddha lui-même a dit : “Vous pouvez changer !  Si vous ne pouviez pas changer, je ne vous demanderais pas de changer ! Puisque nous le pouvons, je vous demande de changer ! “Bien sûr, cela prend du temps. Si vous voulez jouer d’un instrument, il faut du temps ! Si vous voulez jouer au golf, vous ne pouvez pas envoyer toutes les balles dans les bons trous tout de suite. Il faut de l’entraînement. Pour n’importe qui, n’importe où, vous devez le faire encore, et encore, et encore, jusqu’à ce que finalement, cela devienne instinctif.

Il y avait un moine dans notre monastère qui était si plein d’amour ! Tout le monde l’adorait, et il était un maître d’école pour les enfants, pour les petits moines. Ils l’aimaient tous, le prenaient souvent dans leurs bras, et ses yeux rayonnaient d’amour. Puis, quelqu’un m’a dit qu’au Tibet, quand il était encore un jeune moine, il était tellement en colère, vicieux et difficile qu’on lui avait dit dans la communauté : ” Soit tu quittes le monastère, soit tu effectues une retraite et tu apprends à être un yogi ! “. Il est allé en retraite et parce qu’il a dû travailler si dur pour transformer sa colère en amour, il est devenu plus aimant qu’une personne moyenne qui n’a pas besoin de travailler autant sur ce sentiment. Ainsi, il est devenu tout simplement rayonnant d’amour : il s’est transformé ! Bien sûr, nous pouvons nous transformer, mais cela demande du travail, comme toute compétence. Même Mozart ne pouvait pas s’asseoir et jouer du piano tout de suite. Il a dû apprendre. Il a eu des professeurs. Donc, si nous sommes déterminés à changer, si nous voyons les résultats négatifs d’avoir tous ces poisons dans l’esprit, nous pouvons le faire. Nous devons vraiment le vouloir et autant de fois que nous tomberons, autant de fois nous nous relèverons.

Nous n’abandonnons pas, comme des petits enfants qui apprennent à marcher : ils font un pas, deux pas et tombent. Puis, ils se relèvent, et encore… Ils ne pensent jamais : “Je ne peux pas marcher, je ne marcherai jamais ! Je suis un bébé, je ne peux que ramper, ramper est ma nature même ! Je suis né en rampant et c’est comme cela que ça va toujours être !” Ils ne pensent pas comme ça. Ils regardent d’autres personnes qui peuvent marcher et ils disent : ” Ils peuvent le faire, donc je peux le faire ! “. Ainsi, lorsque nous regardons des personnes qui ont une nature vraiment bonne, un bon cœur, nous pouvons assimiler leur bon cœur. “Mon cœur est naturellement bon ! Si je ne peux pas le voir c’est parce qu’il est naturellement recouvert, mais il est là, attendant d’être découvert. Je peux le faire. Si les autres peuvent le faire, je peux le faire moi-aussi !”

Lwiis : Dans le même contexte vous dites (p135) : “Shamata n’est rien d’autre que cela : accomplir tout ce que nous faisons de tout notre esprit, non pas en pensant à autre chose, mais en étant complètement là”.

C’est ici que réside le grand problème : maintenir l’attention ici et maintenant ! Alors, comment y parvenir ? Par exemple, devons-nous renoncer à nos désirs pour y réussir, car nous pensons toujours à nos désirs ?

TP: Apprendre à être attentif et conscient consiste simplement à amener l’esprit dans le moment présent. Prenez par exemple une action simple comme se laver les dents, se raser ou boire du thé. Nous détendons l’esprit et portons notre attention sur l’action, mais sans penser à l’action : “Maintenant, je bois une tasse de thé”, mais en sachant simplement que je bois une tasse de thé, sans juger cette action. Seulement boire du thé pour boire du thé, sans planifier en même temps : “Oh ! Je suis en train de boire du thé, que dois-je faire ensuite ?” Même quand on a un repas délicieux, les premières bouchées nous font dire : “Waou, c’est vraiment bien !” Mais quelques secondes plus tard, nous sommes en train de parler ou de discuter d’autre chose, et puis, l’assiette est vide. Nous n’avons même pas profité de quelque chose d’agréable. Que dire de quelque chose qui ne l’est pas ? Lorsque l’esprit est distrait- ce qui arrive le plus souvent – alors, les distractions, les désirs et les aversions apparaissent. “Je veux ceci, je ne veux pas cela !” Pourtant, si vous êtes complètement présent et conscient, même si les choses surgissent, comme le désir et l’aversion, nous ne les suivons pas. Nous pouvons les laisser partir. Alors, l’esprit est très ouvert, libre et présent. Donc, c’est de cela qu’il s’agit. Shamatha consiste à développer la capacité de rester attentif à ce qui se passe dans le moment présent, au lieu d’être pris dans le passé, dans le futur, de courir dans le présent, de juger, de toujours bavarder avec soi-même. Ainsi, nous passons à côté de tant de choses, parce que nous ne sommes pas attentifs.

Lwiis : Nous sommes toute la journée en train de bavarder avec nous-mêmes ! Les pensées sont toujours là.

TP : Nous devons apprendre à rendre l’esprit plus calme, plus clair, plus concentré. Ce n’est pas que nous ne pensons pas, mais nous pensons d’une manière beaucoup plus ordonnée, et non pas en errant dans le passé et le futur sans fin, avec du blablabla… comme si nous avions une télévision dans la tête, sur laquelle nous n’avons aucun contrôle sur le type de programme qu’on veut y projeter. Nous avons donc cette télévision interne. Pourquoi sommes-nous les esclaves de notre esprit et non les maîtres de celui-ci ? Une partie de la méditation, et non la totalité, consiste à développer le contrôle de l’esprit, en voyant les pensées négatives et en étant capable de les transformer en quelque chose de positif.

Lwiis : Toujours concernant la méditation vous dites (p165) : “La méditation est un travail difficile, mais c’est aussi l’acte le plus gratifiant que nous puissions accomplir”.

Nous avons tous fait l’expérience de ce dur labeur, alors quand commençons-nous à vivre la méditation comme l’acte le plus gratifiant ?

TP [En riant franchement] : C’est comme jouer du piano, au début, c’est un travail difficile, avec les gammes, etc. et totalement ingrat. Mais si vous continuez à jouer, à vous entraîner encore et encore, soudain, cela devient spontané, et vous faites de votre jeu un véritable bijou. Lorsque vous devenez le maître de votre instrument, c’est une grande joie de jouer. Il en va de même si vous apprenez à pratiquer un sport, le yoga ou tout autre type d’exercice. Toute compétence que nous essayons d’apprendre est au début très ennuyeuse, c’est une lutte. Mais, comme on dit, “c’est en forgeant qu’on devient forgeron”. Petit à petit, de temps en temps, la pratique commence à devenir meilleure, même sans effort, et naturelle, même pour une courte période. Puis, l’ego reprend le dessus. Mais comme le Dalaï-lama le dit toujours, “N’abandonnez jamais !” C’est le but. Nous avons eu des existences entières dans la distraction, alors bien sûr il y aura de la résistance au début, bien sûr ce sera difficile, mais n’abandonnez pas ! Si vous apprenez la méditation, ne la tenez pas trop longtemps. Gardez les sessions plus courtes au début, afin que l’esprit ne se fatigue pas, puis soudain, pendant un court moment, vous  sentez que : “Oh ! Oui ! Tout se met en place !” et ensuite, ça s’écroulera à nouveau, mais oui, mais on continuera à travailler dessus, comme dans le cas de n’importe quel autre entraînement.

Je ne sais pas pourquoi nous pensons que jouer d’un instrument de musique – qui consiste principalement à bouger les doigts – est si difficile, alors qu’apprendre à être le « joueur de l’esprit » ne devrait pas l’être : en effet, l’esprit est des millions de fois plus subtil que les doigts. Pourtant, c’est la chose la plus utile que nous puissions faire, car nous mettrons de l’ordre dans notre esprit, et l’esprit sera notre lieu de vie. Un esprit apprivoisé et heureux est la chose la plus précieuse que nous puissions donner à nous-mêmes et aux autres, car nous sommes beaucoup plus faciles à vivre. Le monde est en désordre parce qu’il est contrôlé par des personnes qui n’ont pas l’esprit contrôlé : regardez tous les politiciens, leur esprit est totalement hors de contrôle, ils sont dominés par leur avidité, leurs désirs de promotion égoïste, leur colère, toute la jalousie et la concurrence des autres, le désir de contrôle, de pouvoir, toutes ces émotions négatives ont la maîtrise de leur esprit, et ils contrôlent la planète ! C’est la raison pour laquelle nous sommes dans le pétrin. Nous n’avons pas ces sages hommes d’État, nous sommes dirigés par une bande d’idiots, et nous leur permettons de prendre le pouvoir.

Lwiis : Donc, cette guerre est due à ces esprits de politiciens ?

TP : Bien sûr ! Ils veulent le pouvoir, ils veulent contrôler, ils veulent que les autres croient qu’ils sont les grands dictateurs, ils rassemblent avec eux des gens qui ont ce genre d’état d’esprit et ils contrôlent tout. Vous pouvez le voir tout le temps. Sont-ils sages, sont-ils compatissants, sont-ils des gens bien, aident-ils quelqu’un ? Non, ils font leur propre promotion, leur ego est énorme. Voilà donc un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Si nous apprenons à gérer notre esprit et à avoir un esprit bien apprivoisé, ce sera bien. Le Bouddha dit : “Apprivoisons notre esprit. Un esprit bien apprivoisé apporte le bonheur !” Bonheur pour soi, bonheur pour les autres. Ces politiciens n’apportent le bonheur à personne. Où est le bonheur dans tout cela ?

Lwiis : Concernant la colère, vous dites (p163) : « Laissez tomber l’objet de ta colère et regardez la colère elle-même. Où est-elle ? Comment se sent-elle ? Soyez simplement avec ce que vous ressentez. Ne jugez rien ».

-Voulez-vous expliquer comment nous ressentons la colère dans notre corps ? Et qu’est-ce que c’est exactement que de ne pas porter de jugement ?

TP : Vous pouvez regarder dans le corps si vous êtes très en colère, les muscles deviennent très tendus, vous pouvez sentir une tension à certains endroits, et comment regarder dans notre esprit, notre cœur, comment se sent-il, avec cette colère, où est-elle et comment la ressentons-nous ? Ne pas porter de jugement signifie ne pas souhaiter à ce moment-là qu’elle disparaisse. Ne pas se critiquer soi-même, en pensant : “Oh ! Je suis une mauvaise personne parce que je ressens de la colère !” ou “J’ai raison, je devrais ressentir de la colère à propos de ce que dit quelqu’un d’autre !”. Ainsi, nous grattons constamment l’ulcère, la blessure, reprenant sans cesse dans notre esprit notre ressentiment, nos justifications : ça saigne davantage !

Au lieu de cela, nous devons observer simplement le sentiment tel qu’il se présente, la colère ou tout autre sentiment que nous avons, et nous le regardons avec les yeux de la compassion. Nous apportons à l’obscurité de notre colère la lumière de notre compassion, de notre conscience. Nous ne la supprimons pas, mais nous lui permettons de se calmer, nous l’observons, nous l’écoutons. Pourquoi la colère est-elle là ? Que nous dit-elle ? Avec un regard bienveillant. Il ne sert à rien d’être en colère contre la colère. Au contraire, nous l’amenons à la lumière de notre conscience. Si nous le faisons, en étant vraiment conscients de ces sentiments, d’eux-mêmes ils finissent par se dissoudre. Il ne s’agit pas de supprimer le sentiment, ou de le nier, ou de le nourrir, de verser plus d’huile sur le feu, mais de le voir à nu, de le faire remonter, de le regarder droit dans les yeux. Cela peut le transformer en soi, sans qu’il soit nécessaire de faire quoi que ce soit d’autre. Ne pas se laisser emporter, et en même temps ne pas la repousser en prétendant qu’elle n’est pas là parce que “les gens spirituels ne se sentent pas comme ça”. Nous devons être ouverts et accepter ce sentiment, mais en même temps le regarder droit dans les yeux et écouter ce qu’il nous dit. Nous l’aimons, car toutes ces profondeurs de l’esprit ont besoin de notre amour. L’amour ne signifie pas que nous l’approuvons, mais que nous comprenons d’où il vient, et que nous lui permettons de se manifester, afin qu’il puisse se dissoudre dans un niveau plus profond de conscience et de sagesse.

Lwiis : Concernant les pensées et les émotions vous dites (p164) : “Lorsqu’une émotion ou une pensée surgit, nous sautons immédiatement dessus. Nous nous en inquiétons. Nous ne la laissons pas partir. Ce mécanisme est devenu si naturel qu’il semble presque impossible d’en sortir.

-Alors, est-il possible de mettre fin à cette identification continuelle aux pensées et aux émotions ? Et comment?

 

TP : Le point important, c’est que nous devons vraiment regarder l‘esprit. Normalement, lorsque nous pensons ou ressentons quelque chose, nous sommes emportés, l’exemple traditionnel de ce phénomène est la rivière. Nous sommes complètement immergés dans la rivière de nos pensées et de nos sentiments, et nous sommes emportés par elle. Ce que nous devons faire, c’est rester sur la rive et observer la rivière qui passe. Nous n’essayons pas d’endiguer cette rivière, d’arrêter les pensées ou les sentiments, mais nous essayons de les connaître. De cette façon, nous perdons nos identifications avec eux. Sinon, nous ressentons : “Ce sont mes pensées, et mes pensées et souvenirs sont vrais” … et c’est pourquoi les gens partent en guerre ! “Mes croyances doivent être vraies, parce que c’est ce que je crois !”. Pourtant, notre croyance n’est qu’une pensée. Nous commençons à reconnaître que ce ne sont que des impulsions mentales, elles ne sont pas réelles, elles ne font que passer. Cela nous procure un grand soulagement car, oui, nous avons des pensées, mais nous ne sommes pas ces pensées. Si nous étions les pensées, nous ne serions pas en mesure de les observer, mais nous pouvons les observer en prenant du recul. Ensuite, nous commençons à nous en libérer. Nous ne sommes plus immergés en elles, nous ne suffoquons plus en elles, parce que nous les voyons simplement comme des pensées. « C’est une pensée utile, c’est une pensée stupide, mais ce n’est qu’une pensée ». Elles sont comme des bulles. Elles sont très lumineuses et brillantes, mais quand vous faites “clic”, vous les percez, et elles sont vides ! Elles ne sont pas solides, elles ne sont pas réelles. [En claquant des doigts]. Ce ne sont que des impulsions mentales qui passent.

Lwiis : Quelle est la cause de cette identification aux pensées ? Est-ce l’habitude, ou l’ego ?

TP : En fait, l’ego n’est qu’une habitude ! C’est juste un conglomérat d’instants de pensée qui se collent les uns aux autres et qui aiment à penser qu’ils sont auto-existants et réels, auto-existants et solides, qu’ils sont le centre qui est là et qui contrôle tout. Pourtant, quand on y regarde de près, on ne peut pas vraiment le trouver. Il n’est pas là. Ce n’est qu’une illusion créée pour nous par notre fonction mentale. Comme nous l’avons dit, nous nous identifions parce que nous sommes incapables de prendre du recul et d’observer les pensées en tant que pensées. Et c’est à cette prise de recul que sert la méditation. La première partie de la méditation consiste simplement à rendre l’esprit opérationnel. Nous apprenons comment le rendre plus conscient, plus attentif, comment le rendre plus silencieux, comment être capable de maintenir notre attention, mais c’est une préparation pour être capable de travailler sur ce qu’est l’esprit, qui est l’endroit même où nous vivons. Quelle est notre pensée, d’où vient-elle, où va-t-elle, qui pense ? Nous ne nous posons jamais la question, nous ne faisons que penser, penser, penser et nous ne nous interrogeons jamais sur tout cela. Ainsi, la méditation consiste à examiner l’esprit lui-même, ce qu’est en réalité la conscience.

Lwiis : En parlant de la peur, vous dites (p171) : ” Il est assez fréquent d’avoir peur quand on médite. L’ego a peur que ses jeux soient découverts et il panique”.

-Quels sont ces jeux de l’ego dont vous parlez ? Notre ego est-il donc une entité qui joue contre nous-mêmes ?

TP : Comme je l’ai dit, l’ego n’est qu’une collection de mouvements de l’esprit qui se regroupent pour former quelque chose qui semble être une entité, avant qu’il ne soit mis en examen par notre propre conscience. Ensuite, nous enquêtons sur cet ego, ce “moi”, qui est comme une araignée au centre de sa toile. Nous l’observons. Il prétend être une entité séparée, immuable, unique, constituant un moi unique, c’est-à-dire “Je” ! Pourtant, lorsque nous entrons profondément dans la méditation, nous découvrons que ce « moi-même » est introuvable, même si nous le cherchons beaucoup. Alors, pour ne pas découvrir que l’ego est en fait une fabrication de notre conscience, la peur surgit. Ce même ego a peur que tout se dissolve. Ainsi, l’une des barrières que notre esprit met en place, de manière très intéressante, est ce sentiment de peur. Lorsque les gens commencent à méditer, ce sentiment surgit, et ils ne savent même pas de quoi ils ont peur, mais à cause de cela, ils ne veulent pas aller plus loin et donc, [avec un sourire], ils ont peur de la peur ! Pourtant, nous n’avons pas besoin de cette peur, nous devons la regarder en face, l’affronter, et alors elle se dissout. En fait, tout le problème est que nous sommes pris dans l’étau de quelque chose qui n’a jamais existé depuis le début, mais nous ne regardons pas, nous n’observons pas, nous ne cherchons pas. Nous sommes juste pris à la surface de l’océan, avec les vagues qui montent et descendent, dans un état parfois heureux, parfois malheureux, mais nous ne nous enfonçons pas, de plus en plus profondément, dans l’océan pour voir ce qu’il y a vraiment. Pourtant, les vagues de surface ne pourraient pas exister sans l’océan qui les soutient ! De plus, dans l’océan, il y a beaucoup de choses qui se passent. Vous pouvez avoir de beaux dauphins, de beaux poissons dorés et toutes sortes de choses agréables, mais vous avez aussi des requins et des orques ; c’est ce qui fait naître la peur dans la psyché, toutes ces choses qui sont là-dessous et qui ne sont jamais remontées à la surface.

Pourtant, même les requins peuvent être des amis. Récemment, nous avons vu la vidéo de cette femme qui vit avec les requins. Je pense que c’est très important pour comprendre comment faire face à tous ces phénomènes effrayants à l’intérieur de nous. Elle va dans l’océan et rencontre tous ces requins aux dents longues. Le clip vidéo nous montre qu’elle met tout son bras dans la gueule du requin pour retirer les crochets qui se sont pris dans ses intestins à cause des pêcheurs. Il arrive à s’éloigner mais son hameçon reste quand même en lui, il ne peut pas s’en débarrasser. Cette femme entre avec son bras dans la gueule de l’animal, et manipule le crochet tandis que tout autour d’eux, d’autres requins attendent aussi qu’elle les aide. Ainsi, ce que la plupart des gens pensent être la chose la plus horrible qui puisse arriver – être entouré de requins avec son bras dans la gueule d’un d’entre eux – est en fait un acte d’immense compassion. De plus, les requins ne lui feront jamais de mal, car ils savent qu’elle a une grande bienveillance pour eux et qu’elle veut les aider. C’est aussi comme l’obscurité à l’intérieur de notre conscience. Si nous la faisons sortir et que nous lui montrons de la compassion, elle se transformera en la plus grande des aides. Il n’y a rien à craindre. La compassion conquiert tout. C’est une bonne façon de terminer. La compassion conquiert tout ! (Rires).

Lwiis : Pour la première fois, nous venons de terminer notre série de questions, et en plus à l’heure, 1h50. Avez-vous un dernier mot à dire avant de nous quitter, Jetsunma, surtout en cette période de guerre où, en Europe en particulier, les gens ont beaucoup de peurs ?

TP : Comme je l’ai dit, il y a déjà tellement de pollution psychique dans le monde ! Nous parlons de pollution physique, et elle existe, mais pire que cette pollution physique est la pollution psychique, celle de nos pensées, de notre colère, de notre paranoïa, de nos peurs, de toutes ces négativités qui ont été envoyées dans l’univers. Si nous pouvions juste les voir, nous pourrions réaliser à quel point l’environnement de la planète est sombre, et ne pas nous brancher sur cette énergie négative. S’il vous plaît, ne vous branchez pas sur cette énergie négative ! Envoyez vers le monde la force contraire, celle de l’amour et de la compassion ! La lumière vaincra toujours les ténèbres. Aussi longtemps que l’obscurité demeurera, il suffira d’allumer la lumière et l’obscurité disparaîtra. C’est ce que nous devons accentuer : la légèreté-luminosité de la bonne pensée qui contrebalancera toute cette obscurité qui nous entoure sur cette planète en ce moment. Nous devons envoyer de l’énergie lumineuse. La prière est vraiment puissante, et nous devons y croire. Je ne dis pas qu’elle arrêtera la guerre, mais elle aidera à éclairer ce nuage de ténèbres qui entoure notre monde en ce moment. Nous devons lui donner de l’importance et croire en la bonté.

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