Tenzin Palmo Interview N°4 13 Octobre 2021 Interview menée par le Dr Lwiis Saliba

Tenzin Palmo

Interview N°4

13 Octobre 2021

Interview menée par le Dr Lwiis Saliba

Citations du livre : ‘Un ermitage dans la neige’ de Vicki Mackenzie, NIL Editions

Lwiis Saliba

1) Chère Jetsunma, vous avez écrit : “Beaucoup de gens évitent de penser à la mort et en ont très peur. Mais lorsque nous n’avons pas peur de la mort pendant notre vie, nous sommes soulagés d’un immense fardeau” (p.29) – Quand et comment ne pas avoir peur de la mort ?

Tenzin Palmo : Fondamentalement, la mort est totalement naturelle, tout le monde meurt. La seule chose que nous devons comprendre dans la vie, c’est que lorsque quelqu’un meurt, la conscience continue, c’est seulement le corps qui meurt : donc, si nous pensons que nous sommes comme dans une maison d’hôtes, comme dans un hôtel et que nous voyageons pour trouver une autre chambre, un autre hôtel, ce ne sera pas un gros problème ! Si nous nous rappelons tous les jours que la mort est certaine mais que le temps restant jusqu’à la mort n’est pas certain : cela nous fait apprécier notre vie, nous ne prenons pas la vie pour acquise et nous pensons : “Bon, pour l’instant, je ne suis pas mort, alors, comment utiliser ce temps qui me reste de la manière la plus bénéfique qui soit ?”. Ainsi, au moment de la mort, quand elle viendra, tôt ou tard, nous pourrons mourir sans regret, nous pourrons juste mourir et savoir que nous avons bien utilisé notre vie humaine, que nous ne l’avons pas gaspillée. De cette façon, quand nous sommes prêts à mourir, quand cela arrive, alors la mort est vraiment la prochaine grande aventure !

2 ) Comment se préparer à chaque instant à mourir ?

TP : La première chose est de reconnaître que cette vie est très précieuse et que ce que nous emportons avec nous, ce n’est pas notre santé, ce n’est pas notre argent, ce n’est pas notre position, ce n’est pas notre famille et nos relations, nos enfants ou nos parents. Tout cela, nous devrons le laisser derrière nous, tout notre prestige, nous devrons le laisser derrière nous. La seule chose que nous emportons avec nous est la conscience ainsi que nos propensions karmiques de cette vie. Nous devons donc faire attention à cela : prendre soin de l’esprit, prendre soin du cœur et ne rien faire qui puisse nuire aux autres, essayer de cultiver l’esprit et de le transformer en un esprit que nous serons heureux d’emmener avec nous dans le futur. Si nous faisons tout cela, nous n’aurons pas à nous inquiéter, nous aurons fait de notre mieux dans cette vie pour accomplir le bien pour nous et pour les autres, et nous saurons que c’était bien : alors voyons ce qui se passe ensuite !

3) Vous avez dit “cet esprit, nous l’emportons avec nous après la naissance” ?

TP : Notre esprit conceptuel ne continue peut-être pas, mais le courant de conscience continue, je veux dire, le courant de conscience ne s’arrête jamais, il continue.

4) Vous dites : “Personne ne peut me soutenir que la conscience n’existe pas après la mort car j’ai vu maintes et maintes fois la preuve du contraire. Ce n’est pas une croyance, c’est une certitude. J’ai aussi appris qu’il existe d’autres formes d’existences qui sont parfaitement réelles, mais en temps ordinaire, nous n’en avons pas conscience ” (p. 29) Comment êtes-vous certaine de cette existence après la mort ? Et quelles sont les autres formes d’existence ?

TP : Vous savez, j’ai grandi en tant que spirite : ma mère était spirite et nous avions des séances de spiritisme toutes les semaines dans notre maison. Quand les voisins venaient, à cette époque, j’avais probablement huit ou neuf ans, nous parlions avec ceux qui sont partis de l’autre côté en les considérant comme des guides spirituels. Ce qu’ils nous disaient, les informations qu’ils nous communiquaient, par l’intermédiaire de la femme qui servait de ‘channel’, nous ne pouvions pas le savoir, mais nous pouvions le vérifier par nos investigations. Par exemple, un couple est venu à ces réunions, c’était juste après la guerre, dans les années 50 : ils avaient perdu le seul fils qu’ils avaient, il était dans un char qui a explosé sur un pont. Ce fils est donc venu les ‘voir’ et il leur a raconté beaucoup de choses qu’ils ne connaissaient pas et quand ils ont vérifié plus tard, c’était vrai. Par exemple, le fils a dit qu’il était mort le 23 septembre et ils lui ont répliqué : “Non, mon chéri, c’était le 24 septembre” mais il a rétorqué : “Non, c’était ma mort, je m’en souviens, c’était le 23 septembre. Vérifiez avec le bureau de guerre”. Les parents ont vérifié auprès du bureau de guerre qui avait effectivement fait une erreur. Ils en ont convenu dans ce bureau : “Oui, désolé, c’est une erreur d’écriture, on s’est trompé en écrivant que c’était le 24”. Donc personne ne pouvait savoir ça, c’est un genre d’information qu’on ne peut pas inventer. C’est comme ça.

Il avait l’habitude de s’appeler Tom et les parents lui ont dit : « Mais, chéri, tu t’appelles Cyril. » !” : Ce à quoi il a répondu : « Pour vous dire la vérité, en fait je n’aime pas vous la dire, mais je déteste mon nom Cyril, j’ai utilisé mon deuxième prénom quand j’ai rejoint l’armée et je m’appelle Tom ». Son deuxième prénom était Thomas et ensuite, les parents ont rencontré ses anciens amis dans l’armée et ont pu vérifier qu’ils l’ont tous appelé Tom, personne ne savait que son vrai nom était Cyril. Donc la famille ne pouvait pas le savoir, ils l’ont découvert.

Beaucoup de choses de ce genre se sont produites, en tout cas, j’ai grandi avec cette conscience très profonde que nous sommes entourés tout le temps par de nombreux royaumes d’êtres différents. Celui que nous voyons et qui est si évident pour nous, n’est que l’enveloppe extérieure, la surface de beaucoup plus de royaumes qui nous entourent tout le temps, parfois en nous aidant, parfois en créant des problèmes, normalement en nous ignorant. En conséquence, pendant mon enfance, la mort et ce qui se passe après la mort représentaient des sujets de conversation quotidiens à la maison. Ce n’était jamais quelque chose à craindre, ou quelque chose dont on ne parlait pas, parce que nous avons toujours été fascinés par l’après-vie, ce royaume particulier de l’être : que se passe-t-il ensuite ? Il semble que ce qui se passe ensuite pour la plupart des gens, s’ils ne sont pas trop mauvais, c’est que tout va bien, il n’y a rien à craindre !

Au fond, tout ce que j’essaie de dire, c’est en lien avec un épisode quand j’ai eu moi-même une Expérience de Mort Imminente et que j’ai quitté mon corps. Je regardais mon corps en dessous, en effet à ce moment-là j’étais entourée d’êtres de lumière et avec amour, ils me disaient : “Viens avec nous, viens avec nous“, Alors, j’ai pensé : “Oh, je vais mourir, c’est intéressant !” Je voulais vraiment aller avec ces êtres de lumière, je ne voulais pas retourner dans mon corps… Alors, je ne sais pas, mais personnellement pour moi, je sens que vraiment, à moins d’être une personne très méchante, on n’a pas grand-chose à craindre de la mort.

5) Vous niez, d’autre part, l’existence de l’Atman (l’âme) en disant: ” Lorsque j’avais entendu pour la première fois ce terme d’Atman, j’avais eu la nausée (Jetsunma ajoute : ‘j’ai presque vomi’ !) Le bouddhisme, par contre, parlait de la  non-existence de l’Atman. Il ne développait aucune notion d’entité indépendante, de ‘SOI’ (p. 38) – N’est-ce pas un paradoxe que la conscience continue d’exister après la mort alors que l’Atman (esprit ou âme) n’existe pas ? !

TP : Le point est que la conscience n’est pas quelque chose de statique et d’immuable, c’est ce que le Bouddha niait, quelque chose comme le centre de nous qui serait individuel, immuable, éternel. Il a dit : “Cherchez-le et vous ne le trouverez jamais !”. Cependant, il n’a pas nié que nous existons et que nous sommes des êtres conscients, donc il n’a pas nié non plus ce que nous essayons de faire. Notre conscience conceptuelle change d’instant en instant, c’est comme une rivière qui coule. Ce que le Bouddha a dit, c’est que la nature même de notre esprit est la pure conscience, c’est en effet la pure conscience, la clarté, elle est lumineuse, elle est connaissance, elle est amour et compassion ainsi que grande sagesse : nous sommes connectés à tous les autres êtres. Telle est notre vraie nature, dit en particulier l’école Mahayana du Bouddhisme. Par la méditation, c’est ce que nous essayons de reconnaître, car nous l’avons toujours bien sûr, mais nous ne le reconnaissons pas. Personnellement, je pense que tous ceux qui ont pratiqué les aspects spirituels de la religion comme les soufis, les mystiques chrétiens et juifs, ainsi que les mahatmas hindous, ont tous compris ceci : nous sommes quelque chose de tellement plus grand que ce à quoi nous nous identifions normalement, mais ce qui bloque notre vision est cet attachement à un petit moi. Ce petit moi est ce que nous pensons être nous, même si nous pouvons l’appeler Atman. Néanmoins, ce n’est pas vraiment l’Atman, c’est moi, un moi plus grand, plus glorieux. Bouddha a dit que c’était notre grande erreur, la réalité n’est pas du tout comme cela. Je veux dire que, même quand on l’entrevoit, il n’y a pas de ‘SOI’, il n’y a pas d’autre cela est non-duel de par sa nature même.

6) En fait, qu’emportons-nous avec nous après la mort, la pure conscience seulement, ou notre karma ?

TP : Les deux, car nous portons les effets de notre karma… tant que nous n’avons pas nettoyé notre ego, il y aura du karma. L’ego transporte le karma avec lui. Nous ne sommes libérés du karma que lorsque nous sommes libérés de l’ego, que lorsque nous en sommes libérés complètement.  En attendant, tant que nous nous accrocherons à notre sentiment d’identité conceptuelle, nous continuerons à tourner dans la ronde des naissances et des morts, renaissance, re-mort, renaissance, re-mort, sans fin. Néanmoins, en même temps, cette qualité de pure conscience primordiale est toujours là, sinon nous ne serions pas conscients. Le problème est que nous ne la reconnaissons pas, c’est comme le ciel, nous voyons toujours les nuages, nous ne voyons pas le ciel clair. C’est donc le problème que nous devons examiner : l’inconditionné au-delà du conditionné.  Tous les grands mystiques qui ont traité des aspects spirituels de la religion ont compris cela, les bouddhistes ne sont pas les seuls à en parler, tout le monde le fait, les autres utilisent leur propre langage et leurs propres exemples, mais au fond ils disent tous la même chose : nous nous trompons sur notre vraie nature, qui est divine : nous ne la reconnaissons pas, c’est notre tragédie.

7) Pourquoi ne sommes-nous pas conscients de notre vie antérieure ? Et comment en être conscient ?

TP : Vous savez, beaucoup d’enfants parlent de ce qui s’est passé ‘avant’, mais personne ne les écoute. On leur rétorque : “Arrêtez de parler comme ça, vous racontez des histoires, vous dites des mensonges” ! Les gens ne reconnaissent pas le fait que ces enfants expliquent des choses dont ils se souviennent réellement. Il y a des milliers de cas de ce genre, d’enfants qui, quand ils sont jeunes, décrivent un endroit, des gens et tout ce qu’ils ont connu. Puis lorsqu’ils reviennent à cet endroit, ils le reconnaissent et en identifient tous les changements. Voilà ce qui représente une preuve réelle. Hélas en vieillissant, le conditionnement de cette vie prend le dessus et ces quelques souvenirs passent au second plan parce que, de toute façon, personne n’écoute ces enfants, alors, à quoi bon en parler ? Ainsi, beaucoup d’entre eux finissent par oublier.

8)  Ils connaissent une vie antérieure directement, par innocence, ou ils en ont une vision ?

TP : Ils le savent et parfois ils en rêvent. Quand j’étais jeune, j’avais des rêves récurrents, j’avais aussi des rêves de vie antérieure, de lieux anciens, comme la Grèce antique. En fait, je n’avais aucune idée d’être un petit enfant vivant à Londres, mais je sentais que je pouvais voir le soleil et tout si clairement. J’ai fait ce rêve encore et encore, très joyeux et très clair, quand je montais vers le temple. Beaucoup d’enfants connaissent cela, ils peuvent même reconnaître les gens. Bien sûr, nous devrions mentionner ici le système des ‘Tulkus’ au Tibet, où les maîtres après leur mort sont à nouveau reconnus sous la forme de jeunes enfants. Lorsqu’ils sont ramenés au même endroit, il est très fréquent qu’ils reconnaissent tout, même leur propre situation dans leurs vies passées, etc. C’est une partie du système tibétain  pour s’assurer que la continuité des maîtres reste, qu’ils ne la perdent pas.

9) Vous dites à propos de vos expériences de méditation, notamment pendant votre période d’ermitage: «  Franchement, je n’aime pas parler de cela ». C’est comme vos expériences sexuelles, certaines personnes aiment en parler, d’autres non. Personnellement, je pense que c’est extrêmement intime (p.166) –  Quel est votre conseil aux méditants: parler de leurs expériences car elles peuvent être utiles aux autres ou les garder tranquillement pour soi ?

TP : Eh bien, on nous dit généralement que nous ne devrions parler de nos expériences qu’à notre enseignant personnel, car c’est lui qui nous guide et il a la capacité de nous donner les réponses justes. Cependant, nous pouvons parfois en discuter ou comparer ces expériences avec un ami proche, surtout si nous étudions avec le même enseignant.  Certaines personnes aiment discuter de ces choses, d’autres non. Dans l’ensemble, on considère que si l’on parle trop de nos expériences, cela les corrompt.

10)  Vous voulez dire que l’ego sera gonflé en agissant ainsi ?

TP : Oui, et aussi que nous perdons de leur force, nous les diluons, car elles représentent quelque chose de très intime. Par exemple, lorsque j’étais en retraite, j’ai fait des rêves extraordinaires, vifs et prophétiques. Puis, une fois, j’étais dans une ville et un sâdhu que je ne connaissais pas du tout, est venu me voir sur la place du marché et m’a dit : “Je dois te dire une chose, c’est très important : ne raconte jamais tes rêves à personne ! Ne révèle jamais tes rêves à personne !” et ensuite, il est parti… Je pense que sa remarque était parce que, si nous parlons de ces choses qui sont très intimes, nous les perdons et finissons par dissiper leur énergie. C’est pourquoi, normalement, vous ne parlez de ces expériences très privées qu’à votre professeur ou à des amis proches du dharma.

11) Y a-t-il une similitude entre les expériences sexuelles et les expériences méditatives qui nous permettent de comparer les secondes aux premières ?

TP : C’est juste ce que je viens de dire : certaines personnes aiment parler des expériences sexuelles dans la vie, et écrivent des livres entiers à ce sujet, c’est bien, mais la plupart des gens pensent que c’est quelque chose de très privé et de très intime et que cela ne vous regarde pas, que cela ne concerne que moi et pas n’importe qui… Ils ne veulent pas en parler, ils considèrent que ce n’est pas quelque chose dont il faut parler, que c’est quelque chose entre vous et votre partenaire. De même, la méditation est entre vous et votre enseignant.

12) Votre propre maître ou les maîtres que vous avez rencontrés ont-ils parlé de leurs expériences ou les ont-ils gardées discrètement pour eux ?

TP : Mon propre lama n’a jamais parlé de quoi que ce soit. Certains grands lamas peuvent raconter des histoires sur certaines expériences qu’ils ont eues s’ils pensent que cela peut être utile, mais certainement, ils ne s’en vanteront jamais. Dans l’ensemble, les lamas tibétains ne parlent pas beaucoup de cela, ils peuvent parler des expériences de quelqu’un d’autre mais ils ne parlent pas d’eux-mêmes.

13) Cependant, parfois, s’ils parlent de leurs propres expériences, cela peut être bon pour l’étudiant afin de mieux comprendre ou d’avoir une certaine lumière sur sa propre pratique

TP : Je pense que cela dépend des maîtres : probablement, s’ils pensent que c’est utile, ils en parleront, mais s’ils ne pensent pas que c’est vraiment utile, ils ne le feront pas. La plupart des lamas ne parlent vraiment pas de leurs expériences.

14) Vous dites à propos de la méditation: “La transformation ne commence à se produire que lorsque la méditation descend de la tête au cœur et est réellement expérimentée. Les réalisations sont très dépouillées. Elles ne sont pas accompagnées de lumières ou de musique” (p.167) –  Quand et comment la méditation descend-elle de la tête au cœur ?

TP : Elle descend lorsque le méditant et la méditation ne font plus qu’un, lorsqu’il n’y a plus de séparation, lorsque nous fusionnons complètement avec la pratique : alors, d’une certaine manière, ce n’est plus intellectuel, ce qui se passe dans le cerveau descend jusqu’au chakra du cœur. Il y a un réel sentiment que le chakra du cœur lui-même devient la méditation. Donc, au fond, c’est juste ce qui se passe …. Sinon, nous ne faisons qu’y penser : néanmoins, il est important d’atteindre un niveau de conscience qui ne soit pas tant que cela lié à ce qui se passe dans le cerveau, parce que le cerveau est une machine merveilleuse mais ce n’est pas la conscience elle-même, et ce que nous essayons de faire est d’expérimenter ce niveau de conscience plus profond en nous.

15) Il descend de la tête au chakra du cœur, vous voulez dire ?

TP : Oui !

16) Donc, c’est sur la tête, sur le chakra le plus élevé ?

TP : Non, non ! Dans le bouddhisme, le principal chakra que nous essayons d’ouvrir est celui du cœur, parce qu’il est lié à l’amour, à la compassion et à tout ce domaine. En outre, il est très important de reconnaître également, comme je l’ai dit dans cette citation, que la réalisation, la réalisation directe de la nature de l’esprit, est très dépouillée. Des expériences consistant en l’illumination, la béatitude, la vision et aussi des choses excitantes peuvent arriver, mais également parfois de très mauvaises choses. Souvent, vous savez, les gens imaginent que ce qu’ils essaient d’obtenir, c’est la félicité, la clarté et les visions…Pourtant, c’est considéré comme de simples expériences qui vont et viennent.  C’est comme regarder un film très intéressant, mais tout cela se finit. Ce que nous essayons de faire, c’est d’aller vers quelque chose de plus profond que cela, qui est la réalisation directe de la nature de l’esprit : ce n’est généralement pas accompagné de feux d’artifice, c’est une conscience totalement nue, sans vêtements.

17)  Parfois, dans le même contexte, vous avez dit : « Nous n’avons rien à réaliser, c’est là » : que voulez-vous dire ?

TP : Ce que je veux dire, c’est que nous pensons que la réalisation est quelque chose de différent de ce que nous sommes réellement, mais ce que nous essayons vraiment de faire, c’est de reconnaître ce qui a toujours été, ici, mais que nous n’avons pas encore vu : le fait que vous puissiez me voir et m’entendre, le fait que nous ayons une conscience montre que nous sommes conscients. Mais normalement, nous passons à côté de la chose parce que nous nous parlons tellement à nous-mêmes. Nous ne reconnaissons pas cette conscience nue, qui est derrière tout cela, tout comme si nous regardions les nuages et les arcs-en-ciel, les orages… mais nous ne voyons pas le ciel, nous ne voyons pas l’espace, et pourtant, aucun de ces nuages et arcs-en-ciel ne pourraient apparaître s’il n’y avait pas le ciel. (Jetsunma fait un grand mouvement d’ouverture des bras accompagné d’un grand sourire).

18)  Notre idée principale sur la réalisation est que quelque chose devrait changer en nous : rien ne pourra changer ?

TP : En réalité, cela change parce que nous réalisons que nous ne sommes pas ce que nous pensons être : l’identification avec notre esprit fonctionnant au moyen de pensées conceptuelles est une fiction. Lorsque nous voyons la vraie nature de l’esprit, c’est une percée (breakthrough) très importante. Habituellement, au début, ce n’est qu’un aperçu et après vous devez le stabiliser. Mon Lama disait : “Quand vous reconnaissez la vraie nature de l’esprit, c’est alors que vous pouvez commencer à méditer !” Cela signifie que maintenant, nous comprenons ce que nous essayons de faire : stabiliser et rendre plus constante cette conscience primordiale nue qui est notre vraie nature. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut faire croître. C’est comme l’espace : tout apparaît parce qu’il y a l’espace en toile de fond, mais vous ne pouvez pas faire croître l’espace. Vous ne pouvez pas dire : “L’espace est à moi, c’est mon espace”. Je respire et vous respirez mon air, nous nous respirons intimement l’un l’autre si nous sommes ensemble et cependant nous n’en sommes même pas conscients, alors que cet air, cet espace est la base de tout, la base pour que tout apparaisse.

19) Toujours au sujet de la méditation, vous dites : “C’est seulement lorsque vous commencez à voir la nature de l’esprit que la méditation commence. Ensuite, vous devez le stabiliser jusqu’à ce qu’il devienne de plus en plus familier. Lorsque vous avez fait cela, il ne reste plus qu’à l’intégrer dans la vie quotidienne” (p.169) – Est-ce par la vision que nous voyons et comprenons la nature de l’esprit ?

TP : Cela dépend, vous savez, de ce que vous entendez par vision et quand nous réalisons la nature de l’esprit qui est la conscience primordiale, non née ? C’est comme l’espace, ça ne naît pas et ne disparaît pas, c’est toujours seulement présent, juste ici, nous réalisons cela par vision directe dans notre méditation, ou parce que c’est indiqué (pointed out) par le maître. L’un des rôles de ce dernier est de mettre en évidence la nature de l’esprit. Ensuite, généralement, comme je l’ai dit au début, ce n’est qu’un aperçu et immédiatement après l’esprit conceptuel égotique dit : “Oh j’ai compris ! Je suis vraiment éclairé” ! Et puis c’est reparti pour un tour d’ego, l’expérience disparaît… Mais cet aperçu nous montre que “cela est” ! Il y a quelque chose en nous qui perçoit : « C’est ça ! ».  Après cela, notre pratique consiste à stabiliser cette réalisation jusqu’à ce que nous puissions finalement rester dans cet état de conscience claire et nue aussi souvent que nous le voulons – et ensuite l’intégrer à la vie quotidienne. Ce n’est pas que nous devenions tous comme des zombies fort distraits, simplement assis là… Une chose est à noter avec les grands maîtres, c’est qu’ils sont tellement lumineux, vifs et clairs dans leur esprit, plus que les gens ordinaires. Ils ne sont pas ce genre de personnes incapables de réaliser des choses dans la vie quotidienne, leur fonctionnement est 100% meilleur parce que l’ego ne se met pas en travers. Par conséquent, ils ont la clarté de voir les choses telles qu’elles sont réellement, et non déformées comme elles le sont habituellement par notre conscience conceptuelle. Ils ont ce sentiment d’interconnexion avec tous les êtres, tous les êtres vivants et pas seulement les êtres humains. Cela signifie qu’ils ont la compassion, qui est voilée parce que nous avons tout gâché, alors que nous avions un si grand potentiel !  Mais alors, la compassion surgit naturellement. Ainsi, plus nous voyons la situation clairement, plus la compassion surgit.

20) Comment et par quels moyens pouvons-nous transformer la vie quotidienne en une méditation ?

TP : Soyez conscients, soyez présents, ne vous embrouillez pas sans cesse dans le passé, ne fantasmez pas sans cesse sur l’avenir, sauf si vous devez faire des projets. Nous devenons seulement plus présents, plus attentifs, plus conscients, et nous ouvrons le cœur. Ainsi, nous incarnons la conscience aimante, dans tout ce que nous faisons, au lieu d’être emportés par une pensée conceptuelle sans fin, nous sommes ici et maintenant dans ce qui se passe en ce moment. Nous n’avons pas besoin de nous asseoir et de réfléchir aux décisions à prendre. Naturellement, ce qui doit être fait devient clair, je veux dire que nos réponses deviennent spontanées, nous n’avons pas besoin de réfléchir à la façon dont nous devons gérer la situation, c’est devenu évident.

21)  Notre vie quotidienne doit-elle être aussi une méditation ? 

TP : Absolument ! A 100% ! C’est d’ailleurs ce qui se passe lorsque nous rencontrons de grands maîtres : nous savons qu’ils sont dans un état de présence totale avec nous et de grand amour, nous le ressentons simplement. Je suis sûr que vous avez rencontré beaucoup de grands maîtres et c’est un sentiment que vous avez avec eux, ils sont totalement présents avec vous et ils ont cet amour total, sans jugement et cette compassion pour qui vous êtes, qui que vous soyez. C’est comme le soleil. Celui-ci ne pense pas : “Je vais briller sur ceux-ci, je ne vais pas briller sur ceux-là, il  brille tout simplement”… Si nous nous asseyons au soleil, nous en recevons l’éclat et si nous allons à l’ombre, nous n’en recevons pas, mais le soleil brillera toujours.

22) Vous dites aussi : ” Pour qu’une pratique ait un effet, l’esprit qui médite et l’objet de la méditation doivent fusionner “. Au lieu de cela, la plupart du temps, ils se font face” (p.175) – Nous sommes continuellement confrontés à ce “face à face” et nous n’arrivons pas à en sortir ! Comment trouver une issue à cela ?

TP : Tout d’abord, il est très important de se détendre et de ne pas faire trop d’efforts, parce qu’au fond, qui est celui qui veut obtenir quelque chose ? C’est l’ego ! Donc, en réalité, il suffit de se détendre et de permettre à l’esprit d’être tel qu’il est, de faire des séances très courtes et de ne pas trop insister, de permettre à l’esprit d’être plus calme, plus connecté, plus tranquille, plus présent, puis d’apporter ce sentiment dans votre vie quotidienne autant que possible. Il est très important de ne pas mettre la pression sur l’esprit pour obtenir quelque chose en se demandant régulièrement : « En fait, qu’est-ce que je devrais gagner avec ça ? »  Il ne s’agit pas de savoir ce que nous gagnons ou non. Il s’agit simplement d’une prise de conscience de chaque instant. Nous essayons de comprendre l’esprit et de l’amener de plus en plus à un état de calme et de clarté intérieure, afin de réussir à voir les choses plus clairement. La plupart des gens ne regardent jamais leur esprit, vous en êtes-vous rendu compte ?  Nous vivons dans un monde de pensées, et pourtant la plupart des gens ne se sont jamais demandé ce qu’est la pensée – comme les poissons dans l’océan qui ne se demandent jamais ce qu’est l’eau. Par conséquent, nous trompons notre esprit.

23)  Quel est l’impact de la relaxation sur notre ego ? 

TP : Arrêtez de forcer l’esprit à faire ce que vous pensez qu’il devrait faire. Si nous ne forçons pas l’esprit lorsque nous méditons, mais si nous lui permettons de s’ouvrir, d’être spacieux et si nous nous détendons et le regardons simplement, cette attitude fera que la nature de l’esprit se révèlera. Ainsi, sans essayer de faire des pensées d’une manière particulière pendant la méditation, observez les simplement, regardez-les aller. C’est comme quelqu’un d’assis sur la berge d’une rivière et qui regarde la rivière couler, parfois des déchets passent, parfois de beaux poissons, tout passe, et nous ne faisons que regarder, sans interférer.

24) Mais parfois, en méditation ou même dans la vie quotidienne, nous avons vu que l’esprit travaille même contre nous, il fait ce que nous ne voulons pas faire et il pense à quelque chose qui n’est pas bon… Comment gérer ce genre d’esprit ? 

TP : En méditation, cela ne peut pas vraiment arriver, parce que tout ce qui vient à l’esprit, c’est juste une pensée.  Mauvaises pensées, pensées stupides…. Ce sont juste des bulles, on ne s’y accroche pas, on les laisse passer. Même si on a des pensées vraiment stupides, cela n’a pas d’importance, parce qu’immédiatement on passe à une autre pensée, comprenez-vous ?

On ne retient pas la pensée, on ne la développe pas, on ne pense pas : « C’est une pensée brillante ! Je dois y réfléchir davantage ! » Dans la méditation, on laisse tout passer. Quelqu’un a dit que c’était comme être dans un train et regarder par la fenêtre du train : parfois nous passons devant des bidonvilles, parfois nous passons devant une belle campagne, mais quoi que nous dépassions, ce n’est qu’un passage, nous ne sortons pas du train. En d’autres termes, nous ne nous arrêtons pas… nous laissons tout passer, d’accord ? Donc, c’est ce que nous faisons en méditation, nous observons simplement l’esprit et nous permettons à TOUT de passer, en reconnaissant que ce sont juste des phénomènes qui passent, simplement des pensées. Ce n’est pas moi, ce n’est pas « mien », c’est juste de l’énergie qui s’écoule. Pendant la journée d’activité, notre attitude devrait être légèrement différente : nous devrions être plus prudents, plus vigilants, lorsque nous avons des pensées qui sont liées à des racines négatives, comme l’avidité, la colère, l’orgueil ou la jalousie, n’importe quoi de ce genre. Nous devons le remarquer et essayer de le changer, de le transformer en quelque chose de plus positif. Si nous nous sentons très en colère, alors nous cultivons la patience, si nous nous sentons avides, alors nous cultivons la générosité, le contentement et ainsi de suite… Pendant la journée, nous devrions faire plus attention à notre esprit et en prendre soin, tandis que lorsque nous sommes en train de méditer sur l’esprit lui-même, alors nous devrions juste lui permettre de faire ce qu’il veut faire, parce que se forcer n’est pas le but. Le but est à l’intérieur, dans la nature même des pensées.

25) Mais parfois, surtout dans la vie quotidienne, de nombreuses pensées se glissent dans l’esprit, et de mauvaises pensées… 

TP : Oui ! Donc, nous devrions être prudents et remarquer : “C’est une pensée avide, c’est une pensée de colère”, … et s’arrêter là : “Ok, maintenant, changeons ça : ce n’est pas une pensée utile, c’est une pensée stupide, je vais changer cette pensée.” En fait, nous devons apprivoiser l’esprit. Le Bouddha n’a-t-il pas dit que nous avons un esprit de singe fou ? Donc, nous devons apprivoiser le singe.  Lorsque nous avons calmé le singe, nous pouvons l’entraîner à devenir un bon singe, et entraîner le singe, c’est le transformer, il n’est plus un singe ordinaire, c’est donc ce que nous faisons lorsque nous travaillons avec notre esprit. Ce n’est pas à l’extérieur qu’il y a un problème, le problème est ici à l’intérieur. Lorsque nous reconnaissons que le bonheur dépend d’un esprit bien entraîné, avec de bonnes pensées, des pensées utiles, des pensées heureuses, alors une joie intérieure commence à grandir parce que nous devenons le maître de notre esprit au lieu d’en être l’esclave, ce que beaucoup de gens sont. Leurs sentiments, leurs humeurs sont complètement indomptés. Ils n’ont aucun contrôle. Ce que nous essayons de faire, c’est d’apprendre cette vérité : “Je dois emmener mon esprit avec moi, alors, qui va être en charge ? Pourquoi cet ego stupide, cet esprit ignorant devrait-il me donner toutes les règles ?”.  C’est horrible de voir que les gens sont si malheureux parce que leur esprit est complètement hors de contrôle. Cela n’a rien à voir avec ce que vous savez intellectuellement, avec les circonstances de votre vie. Certaines des personnes les plus riches du monde sont aussi parmi les plus malheureuses ; certaines des personnes les plus pauvres du monde peuvent être parmi les plus joyeuses, cela n’a pas grand-chose à voir avec les circonstances extérieures, mais cela a tellement à voir avec notre paysage intérieur ! Et cela, nous pouvons le changer, c’est la bonne nouvelle : nous ne pouvons pas changer la société entière mais nous pouvons nous changer nous-mêmes.

26)  Quand nous sommes dans notre lit et que nous ne dormons pas totalement, nous sommes entre le sommeil et la conscience, il y a beaucoup de pensées qui surgissent : c’est comme dans la méditation, alors comment les gérer ?

TP : En fait, quand nous pouvons considérer les pensées comme elles sont, nous en sommes libérés. Quelqu’un a dit que le véritable mantra du bouddhisme est “Lâcher prise, lâcher prise !”, parce que l’esprit s’accroche toujours. Bouddha a dit que la souffrance est due à l’esprit qui s’accroche, donc une fois que nous commençons à voir cela et comment cela fonctionne, alors nous pouvons commencer à défaire les nœuds. En réalité, on dit que ce n’est pas comme une corde avec de nombreux nœuds à défaire, mais plutôt comme un serpent qui défait ses propres nœuds. Ainsi, si nous laissons le serpent tranquille, il se dénouera tout seul. De même, si nous regardons notre esprit, si nous voyons l’esprit lui-même, il commencera à se défaire par lui-même. C’est à cela que sert la méditation : à libérer l’esprit.

27) Quel type de méditation avez-vous pratiqué dans la grotte ? Et quelle méditation continuez-vous à pratiquer maintenant ?

TP : Quand j’étais dans la grotte, j’ai surtout fait beaucoup de pratiques de ‘déités’ et beaucoup de récitations de ‘mantras’, parce que c’est ce que mon lama m’a dit de faire. C’est donc principalement ce que je faisais. Aujourd’hui, je fais certaines de ces pratiques, mais je fais surtout de la méditation assise.

28) Qu’entendez-vous par méditation assise ?

TP : S’asseoir et regarder l’esprit.

29) Sans aucune technique ou méthode particulière ?

TP : Oui, c’est ce qu’on appelle mahamudra.

30) Je me souviens, notamment lors de votre intervention la semaine dernière à l’occasion de la ‘Journée Internationale de la Non-Violence’, vous avez conseillé de toujours observer l’esprit lui-même. Pourquoi recommandez-vous cette méditation en particulier ?

TP : Tous les problèmes que nous avons dans le monde extérieur, ou presque tous, ont été causés par les défauts des êtres humains vivant sur cette planète. Je veux dire que les racines des problèmes ne sont pas les animaux, mais les humains… Nous, en tant qu’êtres humains, avons bien sûr un énorme potentiel, nous avons tous la nature de bouddha, mais entre-temps, notre vie intérieure est complètement obscurcie : nous sommes tellement poussés par notre avidité, c’est du n’importe quoi et viennent s’ajouter à cela l’agressivité, la jalousie, la compétition ainsi que l’ignorance fondamentale et égoïste. Cela se manifeste bien sûr dans ce que nous disons, dans ce que nous faisons, dans nos relations avec les autres membres de la société, dans la façon dont nous utilisons notre planète et dans la façon dont nous considérons les autres : “Celui-ci est mon ami, celui-là est mon ennemi”… Toute cette illusion crée tous les problèmes que nous rencontrons dans le monde extérieur, elle vient de nous-mêmes. Si notre esprit était paisible, gentil, généreux et ne faisait pas de discrimination entre les gens en pensant : “Celui-ci est mon ami, celui-là est mon ennemi”, mais si tout le monde était considéré comme notre ami, et ce, dans le monde entier, nous vivrions sur une planète totalement différente. De plus, les religions ont tendance à blâmer tout ce qui n’est pas elles-mêmes, elles sont très divisées et « divisantes », ce qui est fort dommage, car elles ont l’air de dire une chose dans le sens de la tolérance, mais en réalité elles vont totalement dans la direction opposée !

31) Vous louez les effets de l’imagination en disant : “L’imagination créatrice est en soi une force incroyablement puissante. Si elle est correctement canalisée, elle peut atteindre des couches très profondes de l’esprit, des couches auxquelles on ne peut accéder par la parole ou la simple analyse, car, à un niveau profond, nous pensons en images. Si nous utilisons des images créées par un esprit éveillé, cela éveille des niveaux très profonds dans notre propre esprit” (p.177) – Qu’entendez-vous par “canaliser correctement l’imagination” ?

TP : Ce que j’essaye de dire, c’est comme quand nous parlions de notre relation avec le ‘yoga de la déité’. Pour se percevoir comme une déité émanant du Bouddha, l’esprit créatif est plus profond que l’esprit intellectuel qui pense en mots. L’esprit créatif pense en images. Par conséquent, il s’agit d’une compétence de la pratique de la déité qui nous aide à accéder à des niveaux de conscience qui ne sont pas accessibles par des pensées analytiques. Le yoga des déités a été créé par une conscience éveillée, donc, cela descend et se concrétise en quelque sorte sous forme de conscience d’images particulières. Si nous nous visualisons comme Mickey Mouse, nous aurons accès à la conscience de Walt Disney, mais le voulons-nous ? Notre but : si nous pratiquons avec succès la vision d’êtres illuminés, cela active des niveaux profonds de nos propres qualités illuminées. Il s’agit donc d’une manière très habile d’atteindre des niveaux plus profonds en nous-mêmes, qui reflètent ceux des êtres illuminés qui ont créé ces pratiques en premier lieu.

 

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