Dieu se révèle de la manière dont il a été adoré
Conférence de Lwiis Saliba sur Zoom Mercredi 29/12/2021
Dieu se révèle de la manière dont il a été adoré
Il reste une question centrale qui, de prime abord, semble être un point de discorde entre le yoga de la piété (Bhakti Yoga) et l’enseignement de Ste Thérèse D’Avila. Le premier affirme que Dieu se révèle à ses amants et adorateurs de la manière dont ils l’aimaient et l’adoraient. Celui qui l’adore à l’image de Krishna lui apparaît à cette image, et il en est de même de Jésus… et de toutes les autres manifestations de l’Absolu. Le Bhakti Yoga enseigne: «Dieu apparaît à ses fidèles, quels que soient leurs chemins, leurs religions et leurs traditions. Il prend la même forme que le croyant a déjà choisie ou à laquelle il est habitué, même si Dieu transcende les formes, les religions et les traditions ».
C’est ce que le yoga appelle Îshtâ Devatâ : c’est-à-dire la forme divine bien-aimée choisie pour l’adoration et l’amour.
Et dans le Shiva Samhita (Sutra 6/70): «Ce que l’esprit désire, c’est ce qu’il obtient. Le yogî, par une pratique ininterrompue, voit le Seigneur adoré, le Très-Haut ».
Thérèse D’Avila confirme-ce qu’a dit Pâtanjali
Ce qui attire notre attention ici est que, tandis que nous attendons de Thérèse qu’elle contredise cette vision du yoga pour dire que Dieu n’apparaît que sous la forme de sa propre divinité (le Dieu incarné en Jésus), nous trouvons cette vision, et contrairement à ce que nous attendons, elle la confirme. Elle dit à ses filles les religieuses, les conseillant, alertant et guidant (dans son livre sur le chemin de la perfection): “Dès que vous accepterez le Seigneur, vous aurez la même personne devant vous, car même s’il venait déguisé, cela ne l’empêcherait pas de se révéler de diverses manières, selon notre désir de le voir”.
«Et vous pouvez le désirer avec un désir si fort, qu’il vous sera révélé totalement »
L’enseignante de méditation semble ici répéter les mêmes déclarations des sages yoguiques sur la question de voir le Seigneur et sous quelle forme cela se produit.
La caractéristique la plus remarquable du bhakti yoga en tant que chemin spirituel, est qu’il est, selon les mots de Swami Vivekananda: «le moyen le plus simple et le plus naturel d’atteindre le but divin que nous recherchons ».
La Bhagavad Gita, le livre sacré hindou, mentionne trois types de yoga : “le yoga de l’action pour ceux qui travaillent dans la société, le yoga de la connaissance pour les ascètes, et le yoga de la piété, le Bhakti yoga, qu’elle considère comme le plus élevé, pour tout le monde.
L’intolérance est le principal danger de la bhakti
Mais il y a une mise en garde importante pour le bhakti yoga que nous devons présenter et discuter. A ce propos Swami Vivekananda dit: «Le grand désavantage de la Bhakti est que, dans ses formes les moins développées, elle dégénère en un hideux fanatisme ».
Le sage Ramakrishna compare la bhakti à un tigre. Tout comme le tigre dévore les animaux, la piété (bhakti) dévore les vices, tels que la colère et la luxure.
La grande calamité reste que ce tigre féroce, au plus bas niveau de bhakti, s’en prendrait aux autres vices, au lieu de dévorer ceux de l’âme.
Vivekananda explique le terrible danger de la bhakti en disant: «Les gangs fanatiques de l’hindouisme, de l’islam et du christianisme ont toujours et exclusivement été recrutés parmi les croyants encore aux niveaux inférieurs de la bhakti. Cet attachement exclusif (Nishta) à un seul objet bien-aimé, sans lequel aucun véritable amour ne peut se développer, conduit souvent à la condamnation de tout ce qui n’est pas cet objet ».
Vivekananda explique comment l’intolérance émerge et se transforme en un fléau social dangereux, voire destructeur. Sa base est le caractère limité de la piété bhakti, et il poursuit: «Tous ceux dont l’esprit est faible et limité, dans toutes les religions et dans tous les pays, n’ont qu’un moyen d’aimer leur idéal, c’est de haïr les idéaux de tous les autres. Cela nous explique comment un homme pieux, qui est attaché à son propre idéal de Dieu et qui lui est dévoué, se transforme en un fervent fanatique dès qu’il voit ou entend quelque chose se rapportant à un autre idéal ».
Ce sage donne un exemple simple et expressif de ce qu’il dit. C’est le chien qui garde la maison. Il ajoute: “Ces caractéristiques de l’amour sont un peu similaires à l’instinct d’un chien qui protège la propriété de son maître contre les intrus et les voleurs.”
La calamité, dit Vivekananda, est que l’instinct primaire du chien est meilleur que la raison de l’homme. Le premier est capable de reconnaître son maître, peu importe s’il change d’apparence ou de vêtements. Quant à l’homme, il est incapable de reconnaître son Seigneur s’il change d’apparence. Il le considère alors comme un autre Seigneur et une autre divinité et finit par le combattre. Le sage indien dit : «l’instinct du chien est meilleur que la raison de l’homme, car le chien ne se trompe pas en distinguant son maître, même si ce dernier est caché. Quant au fanatique, il perd la capacité de juger et de distinguer. Le problème avec lui n’est pas ce qui a été dit, et si c’était juste ou pas. La seule chose qu’il veut savoir, c’est qui l’a dit ? »
Ici Vivekananda rejoint une parole attribuée à l’Imam Ali: «La vérité n’est pas connue grâce aux hommes, mais grâce à ce que ces hommes ont dit ».
Le sage indien poursuit: «Le même homme qui est doux, bon honnête pour ceux qui partagent son opinion, n’hésite pas à commettre les plus vils méfaits contre des personnes étrangères au groupe religieux auquel il appartient ».
C’est un danger grave et terrible, et nous tous dans cet Orient des religions, nous en sommes la proie aujourd’hui. Cependant, au terme de son analyse, Vivekananda limite les dangers de la piété: «Ce danger n’existe que dans l’étape préparatoire de la piété. Lorsque la Bhakti a mûri, lorsqu’elle est passée à ce degré qu’on appelle suprême (para) il n’y a plus à craindre aucune de ces hideuses manifestations du fanatisme. L’âme qui est envahie par cette forme supérieure de Bhakti est trop près du Dieu d’Amour pour contribuer à répandre la haine ».
Mais le problème, ou plutôt le dilemme majeur, est que la plupart des gens restent au stade préparatoire de cette piété, et peu d’entre eux le dépassent. Ce dernier se transforme en enfer.
Sédiments d’intolérance chez Thérèse
Pour en revenir à notre Sainte et Docteur de l’Eglise, nous ne doutons pas un instant qu’elle ait dépassé les «premiers niveaux de bhakti et son stade préparatoire». Ceci, selon l’expression de Swami Vivekananda, mais il lui reste quelques résidus de ce stade. Elle était cruelle envers son corps et parfois intolérante à son égard. Et nous avons mentionné dans le chapitre concernant sa biographie comment elle le fouettait. Ses nonnes entretiennent encore ce fanatisme à ce jour.
La réformatrice du Carmel ne cache pas un fanatisme clair contre les protestants (luthériens), et elle les décrit parfois dans les termes les plus horribles. Ils sont selon elle les traîtres et les nouveaux ‘crucificateurs’ du Christ : «L’intention de ces traîtres [les protestants de France] est de crucifier à nouveau le Christ et de ne pas lui laisser un endroit où reposer sa tête ».
Y a-t-il des accusations plus sévères que cela?!
Ils ont été condamnés par elle au feu éternel en enfer, car Tous ceux qui quittent l’Eglise sont condamnés à périr.
Elle les a déjà vus en Enfer. Dans la vision de l’Enfer qu’elle raconte dans sa biographie, elle dit: “Mon cœur s’est brisé à cette vision de pitié pour les nombreuses âmes qui ont péri, en particulier les âmes des luthériens, parce qu’ils ont été baptisés membres de l’Église”.
Ici, la vision de Thérèse D’Avila semble être une extension des sentiments antiprotestants du fanatisme. Elle est enthousiaste à l’idée d’affronter ces dissidents et de montrer leur délire. Elle dit dans un rapport rédigé au monastère de Saint Joseph/Avila 1563: «Je pense que je suis capable moi-même de faire face à tous les fidèles de Luther et de leur montrer leur erreur. Je suis vraiment désolée pour la perte de ces nombreuses âmes”.
Et son regret ici ne diminue pas son fanatisme et sa violence: ce sont les résidus des plus bas niveaux de piété encore à l’œuvre dans la conscience et la pensée de Thérèse.
Le mariage spirituel est l’apogée de l’amour
En somme, l’amour divin ou bhakti est une voie essentielle dans la spiritualité et dans l’expérience de Thérèse. Il a atteint son apogée dans ce qu’elle a appelé le mariage spirituel, et elle l’a exposé dans le rapport 35 (Avila mi-novembre, 1572), où elle a raconté: Le Seigneur s’est présenté à moi dans un rêve fantastique et m’a donné sa main droite en disant : ‘Regarde ce clou. C’est un signe que tu seras mon épouse à partir d’aujourd’hui’. Puis il a ajouté : « Vous ne l’avez pas encore mérité, mais à partir de maintenant vous m’honorerez non seulement en tant que Créateur et Roi, mais en tant que votre Dieu. D’autre part, en tant que ma véritable épouse, mon honneur est votre honneur, et votre honneur est le mien ».
Ici, Thérèse/Epouse du Christ, rappelle Radha/La Bergère, la fiancée de Krishna.
Mais le yoga et la spiritualité de Thérèse ne se limitent pas au seul amour divin, car elle est la réformatrice du Carmel et la fondatrice des monastères, elle a parcouru toutes les régions de l’Espagne pour fonder les monastères des carmélites déchaussées, qui, à sa mort en 1582, ont atteint le chiffre de 16 monastères pour les nonnes et 14 monastères pour les moines. Elle n’est pas seulement une nonne d’amour divin, Bhakti Yoga, mais aussi, une religieuse d’action et de réforme, d’activité missionnaire continue, donc du Karma Yoga, le yoga du service et de l’action. C’est ce que nous allons montrer dans le prochain chapitre.
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