L’amour Divin dans le Yoga
et chez Ste Thérèse d’Avila (TA)
Conférence du Dr Lwiis Saliba sur Zoom Mercredi 10/11/2021
Le Bhakti Sutra : Texte fondateur du yoga de l’amour
Le texte de base et fondateur du Bhakti Yoga est le Bhakti Sutra, attribué au Rishi et au visionnaire Nârada. Le Rishi ‘est le visionnaire qui voit une réalité éternelle et une connaissance impersonnelle. Il a entendu une parole divine qui oscille de l’infini à l’ouïe intérieure d’un homme qui s’est fondamentalement préparé pour la bataille impersonnelle et non individuelle’ selon le sage et philosophe Sri Aurobindo (1872-1950).
Narada est l’un des sept grands voyants de la famille Prajâpati, à qui sont attribués un certain nombre de chants du Rig Veda, ainsi que l’invention de l’instrument Vînâ (semblable au luth). Il est l’exemple idéal d’un adorateur yoguique du Dieu Krishna.
Certains chercheurs pensent que la codification du Bhakti Sutra remonte au Xème siècle de notre ère. Cependant, son attribution au Rishi Narada confirme qu’il est bien plus ancien que la date de sa codification. Il est probable, comme toute autre littérature védique, qu’il ait été transmis oralement bien avant sa codification.
Narada affirme dans les Bhakti Sutras que «la Bhakti n’est utilisée que dans le but de n’obtenir aucun désir, car elle-même est le frein de tous les désirs» (Sutra 1/6).
Le rishi Narada parle de la Trinité de l’Amour, en disant: «En établissant la Trinité de l’Amour et du Bien-aimé, adorez Dieu comme Son serviteur éternel, Son épouse éternelle. C’est ainsi que l’on doit aimer Dieu » (Sutra 16/4).
Les expressions de Narada semblent ici être purement chrétiennes: «Dieu est amour, celui qui réside dans l’amour réside en Dieu, et Dieu réside en lui» (1 Jean 4/16) dit le verset du Nouveau Testament. Les théologiens chrétiens ont toujours expliqué la Sainte Trinité comme un Père aimant, un Fils bien-aimé et le Saint-Esprit/amour entre eux. La même image se trouve dans les Bhakti Sutras, indiquant une profonde interaction entre le mysticisme chrétien et le Bhakti/Yoga, et même une influence du Bhakti/Yoga sur la théologie chrétienne.
Est-ce donc étrange de parler du yoga de Sainte Thérèse D’Avila ? Ou d’autres saints ?! Ce point de rencontre crucial nécessite encore des recherches et un examen, tous deux approfondis, qui ne soient pas liés directement au sujet de notre étude.
Les méthodes de yoga de la piété
Mais les méthodes du yoga de la piété (bhakti yoga) se limitent-elles à la prière et à d’autres formes d’adoration ? Ou bien cela inclut-il d’autres méthodes non traditionnelles ?!
Les yogis et les sages définissent cette voie comme suit: «Le Bhakti Yoga est le yoga de l’amour dirigé vers la forme de Dieu choisie pour l’adoration, Îshtâ devatâ. Il comprend généralement des rituels, une méditation visuelle ou intellectuelle sur Dieu, une prière et une répétition continue de son Nom: Japa ».
La méditation sous toutes ses formes est au cœur des méthodes de yoga de la piété, ainsi que la répétition du nom divin, qui est une pratique familière chez les mystiques de l’islam (dhikr) et du christianisme (prière du cœur). Et nous verrons que la méthode de méditation de TA s’inscrit spécifiquement dans les méthodes de méditation du yoga de la piété.
L’amitié et la présence de Dieu dans le Bhakti Yoga
L’un des modèles de piété les plus importants dans le bhakti yoga est celui de l’amitié, en sanskrit sakhya. Il est défini comme suit, selon l’expression de notre Professeur Robert Kfoury: «Compte tenu de la nature différente des personnes, les écrits sacrés mentionnent de nombreux modèles dans la pratique du yoga de la piété, dont le plus important est l’amitié, Sakhya, qui nécessite le développement d’un sentiment d’amitié envers le Seigneur, et ainsi établit une relation personnelle avec Lui. Le dévot regarde Dieu comme s’il était un ami spirituel vers qui il peut se tourner pour obtenir des conseils et pour trouver du réconfort et de la compagnie. On devient incapable de vivre sans Lui ».
Dans son amitié avec le Seigneur, le yogi développe un sens clair de la présence de ce dernier à tous les moments de sa vie et en tout lieu aussi. L’amitié est l’un des lieux de l’amour mystique qui fait que l’amant voit son bien-aimé en tout, en tout lieu et en tout temps. C’est la présence permanente et continue qui ne connaît pas l’absence. Le Rishi Narada dit dans le Bhakti Sutra, vantant cette présence perpétuelle : «Il y a eu beaucoup de définitions de l’amour. Mais Narada dit que, quand le moindre oubli du Seigneur rend le disciple si triste, alors l’amour a commencé » (Bhakti Sutra 1/13). Il ajoute dans un autre fragment (4/5) soulignant la présence qui inclut tous les êtres, tous les lieux et en tout temps: «Quand l’homme obtient cet amour, il va voir l’amour partout, l’entendre partout, en parler partout, et y penser partout ».
Le sage RamaKrishna (1836-1886) donne un exemple de l’expérience de la présence perpétuelle de Dieu dans le bhakti yoga. C’est Radha, l’amante du Seigneur Krishna. Il dit : «Le Bhakti yoga est comparé au khôl (eye-liner)».
Une fois Radha a déclaré: « Mes amies, je vois Krishna partout » Alors elles lui ont répondu: « Tu as doublé tes yeux avec ‘l’eye-liner de l’amour’, donc tu le vois partout ».
Radha, ajoute RamaKrishna, a toujours et partout senti la fragrance de Krishna et ces deux éléments: l’amitié et la présence essentielles dans le yoga de la piété, sont parmi les piliers les plus importants du yoga de TA et de son enseignement.
La méditation est une conversation d’amitié
chez Thérèse D’Avila
Concernant la relation d’amitié avec le Seigneur et son rôle dans la méditation, la réformatrice du Carmel dit: «La méditation, à mon avis, n’est rien d’autre qu’une conversation d’amitié dont nous discutons souvent en privé avec quelqu’un dont nous savons qu’il nous aime ».
Un discours d’amitié et d’amour, c’est spécifiquement la méditation du Bhakti Yoga.
Nous nous lions d’amitié avec Dieu et Il nous aime. Notre amitié grandit et se transforme en amour et en affection. Et l’amour n’est qu’une amitié qui a pris feu, comme on dit. Notre amitié s’élève et purifie l’âme de ses impuretés. TA poursuit: «Si vous dites que vous n’aimez pas encore Dieu, c’est parce que vous ne pouvez pas l’aimer comme vous le devriez, car vous êtes au-dessous de sa nature. Pour que l’amour soit réel et que l’amitié dure, les deux parties doivent s’entendre sur le caractère. Le Seigneur, comme on le sait, est libre de toute déficience. Quant à notre nature, elle est corrompue, lubrique et impudente. Mais si vous comprenez l’importance de votre amitié avec lui et la grandeur de son amour pour vous, vous surmonterez les épreuves ».
La Méditation de TA est une Méditation de Présence
La méditation de la réformatrice du Carmel, dans son essence, est une méditation de la présence, et non pas de l’imagination ou de la vision. C’est la méditation mentionnée ci-dessus du Bhakti Yoga.
Elle dit de cette méditation: «Quand je dis que je ne le vois pas [le Seigneur] avec les yeux du corps, ni avec les yeux de l’âme, c’est parce que cette vision n’est pas imaginaire. Comment puis-je comprendre et confirmer qu’il est près de moi? Et avec plus de certitude que si je l’avais vu ?».
Après avoir nié la vision et l’imagination, TA procède à la confirmation qu’il s’agit d’une présence et rien d’autre: «Cette présence, Dieu la fait ressentir à l’âme avec une lueur plus brillante que le soleil. Je ne dis pas qu’on voit le soleil ou qu’on voit les rayons solaires, mais on voit plutôt la lumière, sans voir la lumière, l’esprit est illuminé pour que l’âme puisse jouir d’un si grand bien ».
TA distinguait entre cette présence et celle qui est expérimentée par ceux qui se sont élevés au rang de l’union. C’est peut-être un pas dans cette direction. Ce dernier est ce que le méditant recherche. Mais il lui faut des étapes et des époques. Néanmoins, il peut profiter de la présence et de la conversation avec le Seigneur: «Cette présence de Dieu n’est pas comme la présence dont jouissent souvent ceux qui parviennent à la contemplation de l’union ou de la tranquillité, mais c’est plutôt comme si nous voulions commencer la méditation et que nous trouvions quelqu’un à qui nous puissions nous adresser. Nous pensons que nous sommes conscients qu’il nous entend, grâce aux effets qui se produisent et aux sentiments spirituels qui nous possèdent. Ce sont des sentiments de grand Amour, de foi et de résolution qui nous relient à lui avec tendresse ».
La réformatrice du Carmel, dans un rapport qu’elle écrivit au monastère de Séville en mars 1576, revient à parler de la contemplation de la présence qu’elle pratique et raconte en disant: « Quand et comment se produit la vision … J’affirme : On ne voit rien, ni intérieurement ni extérieurement, parce que ce n’est pas une vision imaginaire. Bien que rien ne se perçoive, l’âme sait qu’Il est là, et dans quelle direction Il lui est représenté, et cela est plus clair que si elle le voyait ».
En expliquant cette présence, elle ajoute afin de mieux l’exprimer : «L’âme réalise très clairement, sans discours extérieur ni intérieur, qu’il est là [le présent], dans quelle situation il est, et en même temps ce qu’il veut transmettre. Quant à savoir où et comment, elle ne le sait pas […] et quand elle est coupée de sa vision, elle n’arrive pas à le percevoir tel qu’il était avant, malgré toutes ses tentatives, parce qu’alors elle voit qu’il est ‘imagination’ et non pas ‘présence’, car la présence n’est pas sous son contrôle. Ainsi toutes les choses surnaturelles ont lieu ».
Il n’y a pas d’image dans la présence à imaginer, car le méditant ne vit que la présence du Seigneur.
Dans un autre rapport, également écrit à Séville en 1576, elle revient sur la contemplation de la présence, confirmant ce qu’elle a mentionné plus haut à son sujet: «Une sorte de contemplation qui est la présence même de Dieu. Cette présence n’est en aucun cas une vision, mais il semble que chacun Le trouve lorsqu’il veut s’appuyer sur Lui ».
TA a dû parcourir un long chemin dans la pratique et l’expérience, pour se rendre compte que la méditation n’est pas un processus de réflexion ou d’analyse, mais plutôt une expérience de présence. Dans le livre du troisième alphabet d’Osuna, elle découvre que la méditation n’est pas une analyse mentale, dont elle est incapable et qui ne l’ébranle pas en profondeur, d’autant plus qu’elle est la présence de Dieu et l’abandon à Lui.
Le yoga est le frein des processus mentaux, comme nous l’avons déjà cité d’après Pâtanjali (Yoga Sutra 1/2), et l’analyse n’est qu’un type de ces processus, elle empêche donc le méditant de plonger. Le succès de la méditation ‘Thérèsienne’ est dû, en grande partie, au dépassement ou même à l’exclusion des processus intellectuels de l’analyse, de l’imagination et de la réflexion… etc. L’enseignante de l’Église résume son expérience contemplative par l’expression ‘présence’, comme nous l’avons vu et comme le confirme Mgr Hamid Mourani, lorsqu’il dit : «Sainte Thérèse D’Avila ne souligne pas seulement l’importance de la méditation et la nécessité d’y adhérer tout au long de la vie, mais elle décrit aussi les éléments de cette contemplation. Nous n’entendons pas par-là les quatre degrés de contemplation tels qu’ils ont été mentionnés, mais plutôt le type d’expérience qui l’accompagne. Cette expérience, elle la résumait positivement par le mot ‘présence’, et négativement en s’éloignant du chemin de l’esprit ou de l’imagination ».
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