Lwiis T. SALIBA
Le Silence dans les grandes Religions
Lumières sur la conception et les expériences du Silence dans l’Hindouisme, le Bouddhisme, le Christianisme et l’Islam
Conférence donnée à la Sorbonne
Paris Le 29/05/2001
Dans une époque où les gens sont en compétition continuelle pour parler et même bavarder; dans une époque où le bruit est devenu synonyme de culture et civilisation, dans un pays où on dépense souvent pour parler au téléphone et dans les média… etc. autant que l’on dépense pour manger, dans une telle époque et tel pays, n’est-il pas étrange de parler du Silence? Et est-ce bien par la parole, qui est justement l’opposé du silence, qu’on puisse exprimer une certaine expérience du Silence? Et qu’on puisse communiquer aux autres le message du Silence?
Parler du Silence n’est-il pas, en quelque sorte, une trahison au Silence?!
Il est évident, me semble-t-il, que le simple fait de parler du silence est en lui-même un défi et une aventure.
- Un défi dans l’approche de l’essence du Silence, que les paroles ne peuvent pas exprimer, et ne pourront jamais le faire.
- Et une aventure risquée: le risque étant de vider notre expérience du silence de son contenu, par le simple fait d’en parler, sans toutefois être sûr que le message passe dans son authenticité. Mais mon amour du silence et de l’expérience du silence, m’a conduit à accepter, pour une fois, le défi et l’aventure, sur la base suivante: si j’arrive à convaincre une seule personne de l’importance d’intégrer le silence dans sa vie, le message passera, et c’est à cette personne alors de le transmettre à une autre.
Cette conférence n’est qu’un exposé et une invitation. Un exposé de ma propre expérience du silence que j’ai vécue dans l’ashram de Chandra Swami et dans un monastère Bouddhiste en Inde; et une invitation à consacrer au silence un petit moment dans votre vie.
Ma propre expérience du silence, je peux la diviser en trois étapes:
1 – La rencontre d’un maître réalisé silencieux, et vivre auprès de lui pendant deux mois.
2 – Une expérience personelle du silence en m’abstenant de parler pendant un mois.
3 – Une expérience de ce qu’on appelle dans le Bouddhisme le Noble Silence dans un monastère Bouddhiste. Cette expérience personnelle, je l’évoquerai durant la discussion qui suivra cette conférence. Et pour montrer que le silence fait partie intégrante de nos deux traditions monothéistes, Chrétienne et Musulmane, je commencerai par un aperçu sur la conception et les expériences du silence dans ces deux traditions. J’évoquerai ensuite le Silence dans les traditions Hindoue et Bouddhiste.
Le Silence dans la Tradition Chrétienne
I- le Silence chez Jésus et Marie
“Parle O Seigneur, ton serviteur écoute” 1 Samuel 3/9 disait le prophète Samuel dans la Bible.
La parole de Dieu nécessite d’abord le silence de l’homme. Et ce n’est que dans le Silence qu’on puisse écouter cette parole.
«Parlez en votre cœur, sur votre couche faites silence» disait David dans ses Psaumes (Psaume 4/5). Et si on prend la vie du Christ telle qu’elle est racontée dans les Evangiles, on voit que des trente-trois années qu’il a vécues sur terre, Jésus a passé trente ans dans le Silence, Comme si les trois années de prêche et de proclamation de l’Evangile ont nécessité trente ans de préparation et de silence. Jésus a aussi renversé la règle du pur et de l’impur dans le Judaïsme: «Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui souille l’homme» Matthieu 15/10.
Ce sont les paroles de l’homme qui le rendent impur et non pas sa nourriture.
«Etablis, Seigneur, une garde à ma bouche, veille sur la porte de mes lèvres, retiens mon cœur de parler mal…» Psaume, 141/3.
Jésus est né aussi dans une famille de silencieux, Joseph a vécu toute sa vie dans le silence. Quant à sa mère Marie, elle était l’exemple idéal du silence, l’évangile de Luc dit d’elle: «Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur» Luc 2/19.
Marie que l’Eglise appelle la Reine des cieux et de la terre, la Reine des prophètes et des anges, et la Mère de Dieu a accompli toute sa mission dans la méditation et le silence.
Le Coran a, de son côté, insisté sur le rôle du silence dans la vie de Marie, il dit dans la Sourate de Marie: «Mange donc et bois en toute satisfaction et quiétude et s’il t’arrive de voir quelqu’un d’entre les humains dis :«j’ai fait vœu de silence au très miséricordieux et je ne parlerai aujourd’hui à aucun être humain», 19/26.
Les interprètes du Coran expliquent ce verset en disant que Marie faisait un jeûne de paroles comme on fait un jeûne de nourriture.
Marie est pour moi le premier maître du silence. Et dans l’un de mes poèmes arabes dédié à elle je dis:
Tu as porté un enfant qui fut une grâce pour le monde.
Tu as gardé son secret jusqu’à ce que l’heure vienne.
Ton silence retentit et dépassa tout le bruit des hommes.
Ton silence surpassait toute sagesse et se répendait dans le monde entier.
Ton silence est une leçon pour moi et pour tout chercheur.
Une arme et un guide dans notre chemin ténébreux.
Apprends-moi à vivre, comme toi, dans le silence et à garder dans mon cœur toutes ces choses jusqu’à la mort.
II– Le Silence dans la Tradition des Ermites Chrétiens.
Pour illustrer l’expérience et le rôle du silence dans la spiritualité chrétienne, j’ai choisi un grand Saint oriental catholique du 19ème Siècle.
Un saint et thaumaturge libanais qui a vécu presque toute sa vie dans le Silence: Saint Charbel. Charbel n’est qu’un représentant d’une tradition chrétienne orientale d’ermites qui a pris le silence comme voie pour écouter l’appel du divin.
Le statut des ermites de l’ordre des moines maronites auquel appartenait Charbel insiste dans 2 de ses 13 articles sur la nécessité du silence et son importance.
Il est dit dans l’article 5:«Toute réunion pour des conversations non utiles est interdite.
L’ermite ne parlera à son frère que dans le cas d’une maladie»…
Dans l’article 6 on lit: «L’ermite n’a pas le droit d’avoir des amitiés en dehors de ses frères ermites, qui gardent comme lui le Silence. Le fait de trop parler même dans des sujets utiles, c’est troubler l’ambiance de la prière».
Dans les règles annexées à ce statut il est mentionné dans la règle 4:«Le Silence est un devoir, et dans le cas d’une nécessité majeure que l’ermite parle succinctement et à voix basse».
Sur le plan de l’expérience vécue, Charbel était un vrai héros du Silence. Durant toute sa vie monastique qui a duré presque un demi-siècle, il a gardé un silence profond, et n’a parlé que rarement. Il a même vécu le silence des yeux et des sens, et ce que le bouddhisme appelle: le Noble Silence auquel on reviendra. Un exemple de la vie de silence qu’il menait était l’accueil de ses visiteurs. L’Abbé Jean Indari, un de ses contemporains nous raconte: «J’étais encore au noviciat, lorsque j’ai eu l’opportunité de visiter le Père Charbel dans son ermitage. Lorsqu’il me vit, il s’approcha de moi, m’invita à m’asseoir et s’en alla. Quelques minutes après, il retourna avec un livre dans la main, il me le donna en me demandant de lire à haute voix. C’était la biographie de Saint Antoine le Grand. J’ai lu un chapitre, et à la fin, père Charbel reprit le livre et s’en alla». Tel était sa manière d’accueillir les moines, conclut l’Abbé Jean Indari. Un autre récit illustre encore son amour du silence. Père Michel Abi Ramia nous raconte que, suite au retour du Père Charbel d’une visite d’un certain malade, il lui demanda:«J’espère que cette promenade t’a bien plu, père Charbel. Quoi de neuf? Raconte nous».
Le Père Charbel lui répond succinctement et spontanément:«Je suis parti par là, et retourné par là».
Sur le silence de Charbel, l’un de ses contemporains dit:«Le Silence dans sa bouche émane du flot de l’invocation de Dieu dans son cœur». On lit dans l’Imitation du Christ, le livre préféré de Charbel:
Dans le Silence l’âme acquiert un grand progrès et découvre le vrai sens des Ecritures Saintes», (1/20).
En un mot, Charbel est un vrai modèle qui a vécu et expérimenté ce que les règles monastiques appellent:«Majesté et noblesse du Silence».
C’est une expression de Saint Benoît. Dans cette idée, Saint Benoît rejoint ce qui est dit dans la tradition monastique bouddhiste sur le Noble Silence.. qu’on verra plus tard.
Le Silence dans la Tradition musulmane
1- le Silence dans la vie du Prophète.
La vie du Prophète est un modèle que les musulmans ont essayé, à travers les siècles, d’imiter. Les soufis s’en sont inspirés dans leurs efforts spirituels et leurs vies.
Le silence et la solitude ont occupé une part importante dans la vie du Prophète, surtout à l’époque antérieure à la proclamation de sa prophétie. Cette période était pleine de méditation, de silence et de prière. Le Prophète l’a passée à “Ghar Hara’”, un endroit isolé près de la Mecque selon la “Sîra”, biographie du Prophète. Cette période a duré quelques années et était l’exemple qui a inspiré les soufis dans leurs ermitages et leurs expériences du silence.
On rapporte du Prophète qu’il gardait le silence après la prière du soir. Abou Barza, l’un de ses compagnons, a souligné cette habitude chez le Messager de l’Islam.
Ce qui rejoint la recommandation de David dans les Psaumes, déjà citée.
Dans les Traditions (Paroles du Prophète), on le voit plusieurs fois répéter son conseil aux croyants de contrôler et préserver leur langue, c’est à dire leurs paroles et de garder le silence.
Il dit par exemple:«Celui qui garde le silence est sauvé» comme s’il voulait dire que le silence est la clef du paradis et du salut. Dans un autre hadith il dit:«Le Silence est une sagesse, et sont rares ceux qui l’ont».
Dans un troisième: Le silence est la meilleure adoration.
Abu Zarr, un compagnon du Prophète rapporte de lui: «tu as à garder un long silence. C’est lui qui chasse Satan de près de toi, et t’aide à garder les préceptes de ta religion».
Le Calif Omar rapporte du Prophète: «ce que je crains le plus pour ma communauté c’est la langue». Abu Hûraîra, un autre compagnon. rapporte:«Celui qui croit en Dieu et dans le dernier jour, qu’il parle bien ou bien qu’il se taise».
Un autre compagnon, “Aqaba bin Nafi’” demanda au Prophète ce qu’est le Salut: Il lui répondit:«Garde bien ta langue, et pleure sur ton péché».
On rapporte encore de lui:«Dieu haît l’homme qui répète les paroles dans sa langue comme la vache rumine l’herbe dans sa langue». il est bien clair d’après ces traditions que le Silence est une vertu que le croyant doit avoir. C’est une adoration et une clef du salut.
Le contrôle de la langue sauve le croyant de plusieurs maux.
Le Prophète insiste aussi sur l’importance d’une autre vertu: “Kitmân” Discrétion.
Faites-vous aider dans vos affaires par la discrétion.
Garde en secret ton or, ton déplacement, “Ihfaz Zahâbaka Wa Zahabaka”.
J’ai personnellement expérimenté l’importance primordiale de la discrétion dans plusieurs étapes de ma vie, et en un mot je peux dire: le moyen le plus rapide de faire échouer nos projets c’est d’en parler avant de les accomplir.
De même que le Prophète a pratiqué le silence et bien estimé son importance dans la vie, il a aussi été entouré par des gens silencieux qui ont cru en lui et ont pris sa défense dans plusieurs étapes dangereuses de sa vie.
Parmi ces gens sa femme Khadija. Elle était la première personne qui a cru en lui, l’a soutenu et encouragé. Elle faisait cela avec courage et dans le silence.
Et parmi les silencieux autour du Prophète, son ami et son premier successeur le Calif Abou Bakr. Il était le premier homme à croire en lui. On raconte de lui qu’il mettait une pierre dans sa bouche pour s’empêcher de parler.
Le Silence Chez les Soufis
Les soufis ont expérimenté le silence, ils l’ont vécu et l’ont enseigné. Qoushaîri, un ancien auteur soufi, écrit:«les soufis ont toujours préféré le silence. Parce qu’ils ont réalisé combien de vices il y a dans le fait de parler, comme la prétention, la tendance à se distinguer des autres et autres vices moraux…».
Le silence est l’un de leurs piliers moraux. Parmi les grands soufis qui ont préféré le silence figure Al-Junaîd qu’on appelait «Sheikh Al-Ta’ifa», le maître de la communauté Soufie et le Sultan des sages, vu sa station parmi les soufis. Il disait: si la voix s’ouvre pour le serviteur, il n’aura plus besoin de paroles, car l’expression est pour aviser l’autre, alors que Dieu n’en a pas besoin». Il disait encore: celui qui a connu Dieu, sa langue se lasse (ou se fatigue totalement). On explique cette parole comme suit: celui qui connaît Dieu par son cœur, sa langue devient incapable de proclamer. La proclamation devenant un voile. On raconte qu’Abou Bakr Al-Shibli était un jour dans une réunion soufie chez Junaîd. Il cria à haute voix: Oh mon souhait, voulant ainsi désigner Al-Haqq: Dieu. Junaîd lui dit alors: Oh! Abou Bakr!? si Dieu était vraiment ton souhait, pourquoi donc toutes ces allusions et désignations alors qu’il n’en a pas besoin? Et si ce n’est pas le cas, pourquoi donc tu exprimes ce que tu ne penses pas alors qu’Il connaît le fonds de tes idées?
Shibli demanda alors pardon à Junaîd.
Cette anecdote nous rappelle ce que disait un autre grand soufi antérieur à ces deux. Abu Yazid Al-Bistamî (3e s.h):
«Ceux qui font le plus allusion à Lui, sont ceux qui sont les plus loins de Lui».
Ghazali, un des plus grands philosophes, savants et soufis de l’Islam disait… du Soufi:«il ne doit parler qu’en cas de vraie nécessité. Car le fait de parler préoccupe le cœur. L’avidité des cœurs pour parler est énorme, ce qui fait détourner le cœur du zikr (Rappel et répétition du nom de Dieu).
Le silence féconde l’esprit, il favorise la dévotion et apprend la piété».
On raconte que le Soufi Abou Hamza de Bagdad était quelqu’un qui savait bien parler (beau parleur), il entendit un jour un appel qui lui dit:«tu as bien parlé, il te reste à bien te taire et garder le silence. Et depuis il a gardé le silence jusqu’à sa mort».
Le soufi Ali Bin Bakkar disait: Dieu a fait pour toute chose deux portes alors qu’il en a fait quatre pour la langue: les lèvres sont deux volets et les dents en sont deux autres.
Un autre disait: Dieu a créé pour l’homme une seule langue, deux yeux et deux oreilles, pour qu’il écoute et regarde plus qu’il ne parle.
D’autres soufis ont dit: Apprends le silence comme tu apprends à parler, si la parole peut te guider, le silence pourra te sauver.
I – Le Silence dans l’enseignement et l’expérience de Chandra Swami.
Chandra Swami est un sage indien contemporain. Né le 5/03/1930, dans Bhuman Shah, un village actuellement en Pakistan. Ce village a pris le nom d’un des grands sages et saints du 18e siècle: Baba Bhuman Shah Ji (1687 – 1747) que Chandra Swami considère comme son maître.
Chandra Swami a été initié à l’enseignement de Baba Ji par le dixième maître de la lignée des successeurs de Baba Ji. Et par une intervention mystique directe de Baba Ji selon l’expression de Chandra Swami.
A l’âge de vingt-deux ans, Chandra Swami a décidé de vivre en reclus. Il a passé huit ans dans une cave à Jammu Kashmir, là où il a pratiqué une intensive Sadhana. Il a passé ensuite dix ans d’ermitage dans une forêt près de Haridwar. Ensuite, et en réponse au souhait de ses disciples, il s’est installé dans un ashram à Haridwar en 1970, pour le quitter à un autre en 1990 sur les bords de la rivière sainte de Yamuna. En 1991, il a été choisi par le célèbre magazine américain “life magazine” comme représentant de l’Hindouisme, dans un reportage sur les hommes spirituels du monde contemporain. Parmi les autres personnalités figuraient le pape Jean Paul II, le 14e Dalaï Lama et d’autres…
L’Ashram de Chandra Swami accueille les chercheurs spirituels sérieux de toutes les traditions (du monde). Plusieurs livres de Chandra Swami ont été traduits en Français.
Le Silence dans l’expérience de Chandra Swami
Depuis 1984, Chandra Swami est entré dans un silence total. Et il garde toujours ce silence. Il répondit à ses disciples qui lui ont souvent demandé de couper ce silence: «Je suis tombé amoureux du silence. L’amour ne connaît pas la raison, n’est-ce pas?».
Depuis 17 ans donc, Chandra Swami s’abstient carrément de parler. Tout en continuant à enseigner et guider ses disciples. Sa langue, si on peut le dire, c’est un bout de papier et un stylo qui ne le quittent pas. Il exprime sur papier tout ce qu’il veut communiquer, sans couper ce long silence dont on ne sait pas combien il durera!
Sur son vœu de silence Chandra Swami dit: «Je n’ai pas fait vœu de silence. J’aime et je jouis du silence. Il n’y a aucune raison particulière à cela. En fait je ne fais que suivre “la voix intérieure”. La douce voix de mon maître.
Je ne sais pas combien de temps ce silence va se poursuivre. Tout est entre ses mains. Je parlerai lorsque mon maître le décidera, s’il souhaite que je parle.
Je ne suis pas venu ici pour enseigner ou prédire. Mon but, si but il y a, est d’éveiller. J’ai découvert que le silence est bien plus puissant que la parole». (p104)([1]).
Sur la question: pour nous, le silence est-il souhaitable? Chandra Swami répond: Le silence qui a un but n’est pas complet, ce n’est pas le silence véritable, tout comme l’amour qui a un but n’est pas l’amour véritable.
Le silence observé dans le but de communiquer avec le Divin fait partie de la sadhana. Le Divin est l’essence de l’homme, aussi n’est-il aucunement nécessaire de parler pour communiquer avec le Divin. Il n’est pas bon d’imiter les autres. Quand vous ne travaillez pas, rien ne vous empêche d’observer des périodes de silence et de vous consacrer uniquement à la prière et à la méditation à ces moments-là».
Et sur l’utilité du silence tant qu’on se sert de l’écriture pour maintenir des relations avec les autres Chandra Swami répond: Oui, cela a des avantages. Vous contrôlez des sujets dont vous parlez sinon avec complaisance. Vous pouvez demander à A. combien il lui est difficile d’être en silence. Vous le faites de façon à ce que personne ne le remarque. Vous vous exprimez d’une façon plus politique par la parole, mais si vous écrivez, vous ne pouvez pas vous écarter du sujet, il vous faut cristalliser votre pensée. Cependant, le silence véritable survient lorsque vous contrôlez complètement votre discours et votre pensée.
Sur le silence et son utilité pour maintenir l’énergie intérieure Chandra Swami dit:
«D’un point de vue pragmatique, le silence permet de maintenir l’énergie de la sensation et de la pensée, et vous ne vous sentez pas “fermé”, au contraire vous êtes rempli d’énergie, et cette énergie veut s’exprimer. Il est vrai également que si vous exprimez verbalement des sentiments ou des émotions, positifs ou négatifs, si par exemple vous déclarez à une personne que vous êtes en colère contre elle pour telle ou telle raison, votre colère perdra de son intensité. Cela s’applique aussi à votre expérience spirituelle, cet amour ou cette expérience perd de son intensité(…).
Vous recevez de l’énergie par le silence, vous la libérez par la parole. C’est tout comme lorsque vous vous endormez: toutes les activités mentales et physiques s’arrêtent et vous vous sentez reposés quand vous vous réveillez. Par le sommeil, le corps et le système nerveux se reposent et récupèrent l’énergie. Dans le silence, vous vous reposez plus que dans le sommeil». (p 128 – 129).
Recommencez-vous à parler?
«Cela fait quarante ans que les gens m’écoutent et quarante ans qu’ils me posent les mêmes questions et qu’ils entendent pratiquement les mêmes réponses. Les mêmes questions les préoccupent toujours. Ils vont voir tous les saints et leur posent sans arrêt les mêmes questions. Il y a donc quelque chose qui ne va pas» (p244).
Sur la cause de son silence, Chandra Swami répond:
«J’ai passé plus de trente ans à parler et rien n’a changé dans le monde, la situation du monde va de mal en pis. Maintenant j’observe le silence. Peut-être que si les gens ne parlent pas trop et n’imposent pas aux autres leurs opinions, croyances et leurs opinions toutes faites, qu’elles soient politiques, sociales ou religieuses, la situation du monde pourrait s’améliorer. Mais ce n’est pas ce qui a motivé mon silence. Ce silence n’a pas de raison». (p 234).
Le Silence dans les Écritures Saintes Hindoues
Le synonyme du silence dans la culture hindoue est“mouna”. C’est un mot sansikrit, composé de deux syllabes: Ma et Na. Ma vient de Manas Mind ou mental Na, de nahi c’est à dire Non, Mouna signifie donc l’état de non pensée. Le Mental à l’état de mouna n’est pas perturbé par les pensées, les émotions, les sensations, ni les désirs,etc.
Les sages hindous disent que lorsque le sadhak (chercheur) arrive à l’état de non pensée, il pourra écouter la voix divine ou bien la voix intérieure.
Le Kéna Oupanishâd, un des anciens textes hindous, définit Brahman, Dieu Absolu, comme suit:«Celui qui ne peut être expliqué par les paroles, mais par ses paroles on acquiert la connaissance est Brahman. Ce qu’on exprime par les paroles, et ce que les gens adorent n’est pas Brahman».
Les Ecritures Sacrées Hindoues distinguent quatre formes de silence:
1 – Vak Mouna: s’abstenir de parler.
2 – Mano Mouna: Silence de l’activité mentale.
3 – Karana Mouna: Silence des membres extérieurs du corps comme les mains et les pieds et l’abstinence de bouger.
4 – Kasta Mouna: Abstinence des membres intérieurs et extérieurs ensemble de toute activité, y compris le mental.
Ces écritures ajoutent que la meilleure forme du silence est la quatrième: une abstinence totale de toute activité.
Swami Shivananda, le grand sage indien contemporain définit différents genres de silence comme suit:
«Si tu ne permets pas à tes yeux de voir quoi que ce soit, c’est le silence des yeux. Si tu ne permets pas à tes oreilles d’entendre quoi que ce soit, c’est le silence des oreilles. Si tu maintiens un jeûne complet de nourriture, c’est le silence de la langue. Si tu t’assoies dans un état d’immobilité complète, c’est le silence des mains et des jambes».
Ces définitions de Swami Shivananda nous amènent à ce que le Bouddhisme a connu dès son commencement et a appelé: Le Noble Silence».
Le Silence dans la tradition Bouddhiste
La Tradition bouddhiste accorde au silence une importance majeure. Les moines bouddhistes ont pratiqué le silence dans toutes ses formes. Et on rapporte du Bouddha qu’il a dit:
«Sans le Silence, il n’y a pas de vraie méditation». Les sages bouddhistes demandent à ceux qui veulent apprendre la méditation de pratiquer le Noble Silence durant toute la période de l’enseignement.
Le Noble Silence est la forme la plus élevée, la forme idéale du silence.
Le Noble Silence ne se limite pas au silence des paroles, mais comprend aussi le silence des yeux, des oreilles, du toucher et des autres sens. Pour arriver à une immobilité totale surtout durant la Méditation.
1 – Silence des yeux
On trouve dans les traditions chrétienne et musulmane des synonymes du silence des yeux.
Jésus dit:
«Vous avez entendu qu’il a été dit:«Tu ne commettras pas l’adultère. Eh bien! Moi je vous dis: quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis dans son coeur, l’adultère avec elle», Math 5/27.
C’est une invitation à regarder d’une manière précise. Et on lui trouve des équivalents dans les deux traditions bouddhiste et hindoue, où on demande au sadhak de regarder la femme comme une mère et de l’appeler Mataji: ma mère.
En Islam une tradition du Prophète rapporte: Vous avez droit au 1èr regard, vous serez jugés sur le 2ème là les 4 religions s’accordent sur le fait de contrôler le regard.
Les soufis musulmans et les ermites chrétiens ont pratiqué des formes et des genres du silence des yeux. Je cite là deux anecdotes. L’une sur Abu Yazid Al-Bistami, un soufi du 3e s.H. 9ème siècle Ch. Et une autre sur St Charbel.
On raconte que Abu yazid était un jour en présence de son Cheikh (maître) Abu Ali Assindi.
Ce dernier lui demanda:«Apporte-moi le livre sur la fenêtre». Abu Yazid lui demanda alors:
– Quelle fenêtre? Alors son maître lui dit: Tu viens chez moi depuis des années, et tu ne connais pas où est la fenêtre?!
Abu Yazid lui répondit:«Qu’ai-je à faire avec la fenêtre? Je suis venu là pour vous voir, et non pas pour regarder autour de vous. Et quand je suis avec vous, je ferme mes yeux sur toute autre chose.
Alors le cheikh conlut: Si c’est ton état, tu peux rentrer chez toi, ton travail là est terminé».
Sur Charbel son compagnon d’ermitage raconte qu’ils travaillaient un jour avec les moines et labouraient la terre. Le soir, père Charbel demanda à son copain: Avait-on combien de paires de vaches qui labouraient avec nous? Trois! lui répondit son copain. Tu as travaillé avec nous depuis le matin et tu ne les as pas vues?! Charbel inclina la tête et garda le silence.
2 – Silence des oreilles et de la langue.
Les sages bouddhistes demandent à l’étudiant de garder le silence des oreilles durant l’aprentissage, de s’éloigner de tout bruit et de rester dans un endroit tranquille et calme. L’utilisation de radio, T.V, Téléphone… est strictement interdite.
Quant à la nourriture, on se contente de deux repas légers par jour, pour ceux qui ne peuvent pas jeûner.
3 – Silence du toucher
Les étudiants s’abstiennent de tout contact corporel, et de toucher les autres pendant la période d’ensei-gnement. Une ségrégation totale entre hommes, et femmes est respectée.
C’est le silence du toucher. D’autres s’abstiennent aussi de toucher ou porter l’argent sous quelle forme que cela soit.
C’est une pratique qu’on rencontre chez les sages hindous et les ermites chrétiens aussi.
On raconte que Chandra Swami, par exemple, a pris vœu durant ses premières années de sadhana de ne pas toucher l’argent, ni le porter sur lui. Il a circulé en Inde durant plusieurs années en respectant ce vœu.
Quant à Saint Charbel, on voit qu’il n’a touché ni porté l’argent durant toute sa vie monastique qui a duré un demi-siècle à peu près.
Un des prêtres contemporains à lui raconte:
Un fidèle m’a chargé de donner à père Charbel l’aumône d’une messe. Lorsque je lui ai présenté l’argent, il a carrément refusé de le prendre.
J’ai insisté à lui expliquer que l’intention de ce fidèle était de lui donner cet argent de main en main. C’est là qu’il a tendu sa main, et j’y ai déposé l’argent, il a marché tout en gardant la main tendue vers son camarade, et sans regarder le montant de cette somme, lui demanda:«veuillez prendre ça».
4 – Silence du corps
Les Sadhaks bouddhistes essaient de s’abstenir de tout mouvement pendant la méditation, et de garder une immobilité totale.
Ceci en hommage au Bouddha quand il s’est mis sous l’arbre en prenant le vœu de ne plus bouger de cet endroit, et de s’abstenir de tout mouvement avant d’atteindre la libération: le Nirvana.
C’étaient quelques flashs sur quelques conceptions et expériences de Silence dans les traditions spirituelles des quatre grandes religions de notre temps. J’ai essayé de montrer comment les fondateurs de ces religions, ou leurs Ecritures Saintes se rencontrent sur l’importance du silence et son expérience.
J’ai essayé de montrer aussi dans cet exposé, comment les mystiques de ces quatre religions se rencontrent, chacun en partant de son propre héritage spirituel, dans des expériences semblables de silence. Et j’ose presque dire c’est une expérience qui les unit malgré les différences de croyances et de religions. Les Religions, disait Ramana Maharshi, sont des fleuves, qui se rencontrent et s’unifient dans l’océan du Silence.
[1] – Les références renvoient au livre de Chandra Swami: le chant du silence.