Tenzin Palmo
Interview N°5
08 DECEMBRE 2021/Interrogée par Lwiis Saliba
Interview menée par le Dr Lwiis Saliba
Introduction de Lwiis Saliba :
‘Jetsunma’ Tenzin Palmo, votre présence parmi nous n’est pas simplement pour répondre aux questions, mais pour donner vos bénédictions en particulier dans cette partie du monde arabe qu’est le Moyen Orient, dont vous-même vous dites que le dharma est absent… presque absent.
Cependant nous, ici présents et avec votre aide Jetsunma et celle du Docteur Jacques Vigne, nous essayons de rendre le dharma présent, car, comme la lumière d’une chandelle, il ne peut être éteint par l’obscurité.
Je vais vous raconter deux histoires qui se passent chez nous :
La première histoire : il y a une Université de la charia en Irak, c’est à dire de lois musulmanes, qui m’a invité à donner une conférence sur les religions. A l’époque, quand j’ai proposé comme sujet le bouddhisme, ils ont refusé en disant : « Non, non… c’est en dehors du sujet des religions »
Mais récemment en novembre, il y a eu un congrès avec l’Université Dominicaine Internationale des Religions et le Département Arabe de l’Etude des Religions, sur la question : ‘quel type de bouddhisme faut-il présenter aux étudiants en arabe, dans tout le monde arabe’ ?
Ce sont des gens très savants qui enseignent et qui m’ont chargé personnellement d’enseigner ce sujet sur le bouddhisme. On m’a invité pour faire la conférence d’introduction à laquelle assistait un groupe d’étudiants et des gens du clergé chrétien et musulman.
Après avoir présenté Jetsumma, j’en ai profité pour relater une anecdote qu’elle nous a racontée : elle était avec quelques nonnes à une conférence inter-religieuse à Jérusalem, leur tenue de moniales bouddhistes avec leurs robes bordeaux et puis leurs têtes rasées, n’était pas du tout familière pour les gens de Jérusalem, qu’ils soient musulmans, chrétiens, arabes ou juifs.
L’un des membres des communautés de Jérusalem (je pense que c’était un garde, un palestinien ou un arabe musulman) est venu lui demander : « De quelle religion êtes-vous ?» et elle lui a répondu : « Nous sommes bouddhistes » Il lui a rétorqué : « Je ne connais pas… de quoi s’agit-il ? Est-ce une nouvelle religion ? »
Jetsunma a répondu : « Non, non, c’est très ancien, ça date de plusieurs siècles, le bouddhisme est l’une des religions les plus anciennes »
Ensuite, il lui a demandé : « Contre qui est le bouddhisme ? »
Tenzin Palmo a répondu : « Contre personne, au contraire, le bouddhisme enseigne constamment l’harmonie entre les religions »
Alors, il a conclu : « Cette religion bouddhiste nous intéresse parce qu’on n’a pas entendu parler auparavant d’aucune religion qui ne soit pas au moins contre une autre religion »
J’ai commenté ceci parce que le clergé chrétien et musulman, ainsi que les étudiants, étaient intéressés par cette anecdote : « Voilà la situation dont on a hérité et dont on est toujours victimes : les religions les unes contre les autres »
Et aujourd’hui, je suis content d’annoncer avec confiance qu’en ouvrant cette maîtrise en religion comparée dans le département arabe de l’université, on allume une lumière dans l’obscurité, dans les ténèbres.
Aussi ténébreuses que soient les ténèbres, elles ne réussiront jamais à éteindre la lumière de la chandelle.
Il est meilleur pour une personne d’allumer la lumière de la chandelle de la connaissance, plutôt que d’éteindre toutes les lumières et de rester dans les ténèbres de l’ignorance.
C’est un célèbre proverbe arabe qui dit cela. Et c’est ce que je vous demande dans mon enseignement : de répéter et d’appliquer le sens de ce proverbe arabe, afin d’allumer la lumière de la connaissance !
A la fois le clergé chrétien, musulman et les étudiants ont écouté avec attention cette anecdote de Jetsunma Tenzin Palmo.
Le bouddhisme a un message de paix et d’amour à donner pour cette région du monde qui est toujours en train de se perdre dans la violence.
Question de Lwiis Saliba : Est-ce que vous avez un message pour cette petite sangha qui est guidée par le Docteur Jacques Vigne, et pour le monde arabe en particulier, un monde où on travaille durement pour développer la connaissance ? »
Tenzin Palmo : Je vous remercie pour les efforts que vous faites afin de mettre de l’harmonie entre les religions du monde. En fait ces religions du monde devraient être elles-mêmes celles qui nous guident pour nous éduquer à une bonté durable. Pourquoi ne le font-elles pas ?
Toutes les religions nous disent qu’on doit lutter pour la bonté, pour le bonheur, que tous les êtres sont faits pour être heureux, pour faire le bien, etc….
Tout le monde veut être heureux et éviter la misère alors pourquoi crée-t-on tant de souffrance pour les gens alors qu’on sait que tous cherchent à être heureux ?
On sait bien qu’il faut être bienveillant envers le voisin, ne pas le blesser, tout le monde sait cela. Mais pourquoi ne le fait-on pas ?
C’est la question… Les religions devraient mener, guider les gens dans la bonne direction.
Elles ne devraient pas créer davantage de problèmes, elles devraient être celles qui résolvent les problèmes du monde.
Elles doivent remonter à la hauteur de ce que leurs fondateurs ont indiqué.
Si Mohammed et Bouddha regardent du haut du ciel ce que leur religion est devenue, ils doivent se dire que les gens les ont bien mêlées à des tas de choses pas très belles, pourtant leurs messages étaient clairs !
Comment se fait-il qu’on ait tellement dilué le message des fondateurs ?
Pourquoi ne peut-on pas se respecter les uns les autres et vivre en harmonie tout simplement comme des êtres humains ? Au moins on pourrait faire ça.
Venez, approchez-vous et sortez de vos positions. Ecoutez ce que vous disent vos fondateurs et mettez cela en pratique.
Souciez-vous de tous les êtres humains, car si une religion ne nous enseigne pas la vérité qui nous l’enseignera ?
J’ai bien vu que les étudiants et le clergé chrétien ou musulman écoutaient avec attention parce qu’on a été éduqué pour s’opposer aux autres religions. C’est pour cela que j’ai dit que le bouddhisme avait quelque chose à affirmer, à expliquer dans cette région du monde.
Ils ont aussi, bien sûr, des méthodes pour développer cet amour, cette acceptation de l’autre pour développer ces sentiments.
Et je trouve très triste que les leaders religieux qui devraient nous montrer la lumière soient ceux qui agitent l’épée et sortent les fusils.
Ce n’est pas du tout comme cela devrait être : ils devraient enseigner aux gens notre bonté innée et authentique, notre vraie nature. Notre nature de base est bonne …
Et ils devraient nous aider en montrant l’exemple : l’exemple juste.
Q : C’est pour ça Jetsunma, qu’on voudrait que vous restiez tout le temps avec nous parce qu’on est une petite sangha, mais si vous conduisiez cette sangha, à ce moment là ça nous aiderait à jeter de la lumière dans cette région et en cette période plutôt sombre.
TP : Vous savez, maintenant il y a bien des enseignements qui sont disponibles en particulier sur Internet où vous avez beaucoup de bons enseignants qui disent des choses très profondes et qui donnent des conseils qui sont vraiment utiles pour mener une vie bonne et pleine de sens.
D’une certaine façon, cette pandémie a été très positive parce qu’elle a permis que tous ces enseignements, qui étaient peu connus, soient mis en ligne, et puissent être disponibles maintenant et pour tous.
En ce sens, la pandémie a été tout à fait profitable. Les gens peuvent facilement télécharger tellement de choses sur You Tube ou en différé…
Tout cela est disponible…C’est là…C’est présent.
Q : Bien sûr, je sais cela, mais avec vous votre attention est une réelle bénédiction, c’est tout ce que je voulais dire.
Vous affirmez, à propos de votre longue retraite dans la grotte : « Il y a une chose que je peux vous dire, c’est que je ne me suis jamais ennuyée » (p 198)
Que faire donc pour chasser l’ennui dont on est victime, soit dans notre vie quotidienne, soit dans notre vie spirituelle ?
TP : C’est une question d’attention à ce que l’on fait. Quand on a l’esprit ailleurs, on trouve que ce que l’on fait est ennuyeux, mais quand on est pleinement dans ce que l’on fait ce n’est plus fastidieux. Quoi que l’on fasse, si on le fait avec pleine attention, ça cesse d’être ennuyeux.
Une autre chose importante : si vous vous sentez dans l’ennui, à ce moment-là relaxez-vous et observez cet ennui.
Comment est-ce que vous le ressentez ? Qu’est-ce que ça fait dans le corps ? Comment pouvez-vous le considérer. ?…. Cela est très important aussi.
On devient intéressé à ce qui se passe à l’intérieur de nous-même… en y faisant attention.
Parce que, lorsqu’on fait les choses sans être intéressé par elles, on en arrive à se trouver dans une sorte de léthargie. Par contre, s’il y a l’attention, les choses deviennent aussitôt beaucoup plus intéressantes.
L’ennui n’est pas une mauvaise chose…on est parfois dans l’ennui, ce n’est pas un grand problème … ok… on l’accepte…
Mais cependant, si dans notre pratique spirituelle, nous sommes toujours dans l’ennui, c’est qu’à ce moment-là il y a un problème : il faut penser alors à changer sa pratique et à en trouver une qui attire notre attention.
La clé des choses, c’est toujours d’être conscient de ce qui se passe. D’habitude on n’est pas conscient et c’est pour cela que l’on tombe dans l’ennui.
Q : Parfois on est ennuyé parce que c’est toujours la même chose, on n’y trouve pas d’intérêt, on trouve cela répétitif… Il n’y a rien de nouveau…C’est peut-être pour cela que l’on s’ennuie en méditation ou dans notre pratique spirituelle ?
TP : C’est pour cela que vous devez porter toute votre attention sur ce que vous faites et ce que vous pensez. On s’ennuie parce qu’on ne fait pas attention.
On se ‘mord un peu la queue’ parce que si on s’ennuie c’est justement parce qu’on n’a pas suffisamment d’intérêt pour faire attention, donc ça forme un cercle vicieux.
C’est bien pour cela qu’il faut nous entraîner à faire plus attention. Tout le but de cet entraînement en méditation, est d’aider l’esprit à être plus focalisé.
Et de nouveau, on s’ennuie parce qu’on n’est pas suffisamment focalisé.
Quand vous faites quelque chose de tout à fait routinier, comme des affaires que vous faites tous les jours, etc… Mettez-y davantage d’attention, observez votre corps, observez votre esprit et ce ne sera plus ennuyeux.
Q : Est-ce que par la pratique on peut progresser dans l’attention ?
TP : Oui bien sûr et c’est justement ce à quoi sert toute cette pratique. Comme on dit en anglais la pratique rend parfait. En français on dirait : ‘C’est en forgeant qu’on devient forgeron’.
Apportez de l’intérêt dans votre pratique et à ce moment-là, il y aura un véritable développement.
On remplace l’habitude d’être sans attention, par l’habitude d’être avec attention et à ce moment-là, les choses ne sont plus ennuyeuses.
On pense que chaque moment est le même que le moment précédent, mais ce n’est pas vrai et si nous faisons attention, chaque moment devient unique et véritable.
Il y a des périodes où l’on sent que tout est pareil : en particulier l’agitation du mental revient tout le temps de la même façon et là on se décourage, notre attention faiblit.
C’est là où nous faisons l’erreur car nous ne faisons pas suffisamment attention aux choses telles qu’elles sont.
Si on était plus présent à l’instant même, on s’apercevrait que chaque instant est nouveau .Ce n’est pas le même c’est simplement parce que notre esprit est léthargique.
De nouveau, le problème n’est pas quelque chose d’extérieur à nous, le problème est véritablement dans l’intimité de notre esprit.
Q : La respiration du vase est souvent citée, Jetsumma, mais on en trouve différentes variantes.
Quelle est selon vous sa forme principale et les variantes qui sont utiles à pratiquer ? Peut-on la prendre comme une respiration standard dans sa pratique à long terme ?
Cette respiration de base du vase correspond-elle, selon vous, au conseil de pousser l’énergie vers le hara sur l’expiration dans la méditation zen ?
TP : Cette respiration du vase, kumbaka, comme on dit en sanskrit, est une méthode pour activer l’énergie subtile qu’on appelle le prana en faisant une rétention du souffle dans l’abdomen qui devient comme un vase d’où ce nom de ‘respiration du vase’.
Mais, honnêtement et pour dire vrai, on doit être prudent parce que si on se trompe en faisant cette respiration, on peut se créer beaucoup de problèmes pour nous-même, y compris physiquement.
Je ne conseille à personne de la faire sans avoir des conseils experts, avec un bon enseignant, afin de la faire de façon appropriée, parce qu’on peut déséquilibrer l’énergie dans le corps : faire un déséquilibre des pranas.
Q : Est-ce qu’il faut être guidé par un enseignant pendant que l’on pratique cela ?
TP : OUI OUI. Parce que si on l’exécute de travers, ça peut créer beaucoup de problèmes.
Dès le début, l’enseignant verra si vous la pratiquez correctement.
Q: Dans le pranayama, il y a tellement d’exercices qui sont très délicats à pratiquer !
TP : Traditionnellement, vous avez un gourou qui vous enseigne mais aussi qui vous observe afin de savoir si vous faites le pranayama correctement. De nos jours, tout le monde apprend par You Tube, ou ce genre de réseau, mais ce n’est pas pareil.
Q : Oui, les gens regardent quelques exercices sur You Tube et ils s’y mettent.
TP : Ils peuvent se tromper, aller dans des chemins erronés sans aucun contrôle sur leurs pratiques.
Je le répète : soyez prudents.
Q : Avec la popularité de la pleine conscience, on entend souvent des gens dire qu’ils n’ont pas besoin de pratiquer une méditation formelle puisqu’ils pratiquent la pleine conscience dans la vie quotidienne. La plupart du temps, on a l’impression qu’ils se trompent eux-mêmes. Quelles explications leur donneriez-vous pour les amener à trouver un juste milieu entre la pratique formelle et la pratique entre les sessions ?
TP : A la base, la profondeur de nos expériences entre les sessions de méditation dépend de la profondeur de l’expérience de notre méditation assise, c’est à dire de notre méditation formelle.
Il est intéressant de maintenir cet équilibre entre l’assise formelle et la pleine conscience pendant la journée.
D’habitude, les périodes de méditation assise, formelle, mènent à des niveaux plus profonds parce que justement, il n’y a pas les distractions de la journée dont vous essayez d’être conscient, le corps est très tranquille et finalement il n’y a plus que l’esprit.
En méditation formelle, vous êtes juste assis, ici et avec l’esprit….et vous regardez l’esprit qui regarde l’esprit. Cela mène à des niveaux d’exploration plus profonds de notre conscience.
On n’est pas distrait par les événements extérieurs ni par le fait de devoir les gérer à l’extérieur de nous-même.
C’est pour cela que les centres de méditation traitent la méditation de ‘claire vision intérieure’ vipassana – et de focalisation – shamatha – en même temps que la méditation de pleine conscience pendant les actions.
Ils ne se contentent pas de dire : vous pouvez aller à gauche, à droite et simplement soyez conscient. Non, ils enseignent bien la pleine conscience dans l’action, mais ils enseignent aussi ces méditations formelles shamatha, vipassana dans ces centres. L’un soutient l’autre.
Si vous n’avez pas de pleine conscience dans la vie quotidienne quand vous quittez le centre de retraite, tout s’écroule.
On a besoin de la maintenance de la pleine conscience dans la vie quotidienne mais cette pleine conscience elle-même est approfondie et renforcée par les expériences en méditation assise … les deux vont ensemble … il ne faut pas les séparer …
Il est certain qu’il faut pratiquer les deux, parce que l’un sans l’autre ne mènera pas à des prises de conscience vraiment profondes, ou ne transformera pas l’esprit.
Pour cela, vous avez besoin d’efforts stables, mais aussi vous avez besoin de périodes où vous êtes simplement ‘un’ avec la conscience… pas durant la vie quotidienne.
En fait, on a besoin des deux.
Q: Dans un certain nombre de mouvements spirituels et même de religions instituées, on a l’impression assez nette que la hiérarchie et les enseignants cherchent à infantiliser les croyants. Cela ne va certes pas dans le sens de la maturité spirituelle. Est-ce aussi votre sentiment ? Si oui, comment sortir de cette ornière, et comment faire la différence entre cela et la véritable enfance spirituelle, qui, elle, est une qualité ?
TP : Il est raisonnable de constater que pour n’importe quelle capacité que l’on veut développer, que ce soit en sport, en musique, ou autres…On a besoin d’un enseignant qui nous montrera si on pratique correctement ou non. Si on veut faire par soi-même, on sera obligé de faire beaucoup d’erreurs et on ne sera pas conscient des erreurs que l’on fait.
Même dans les choses les plus mondaines comme par exemple apprendre à jouer au football, on a besoin d’un enseignant, de quelqu’un qui vous aide.
Au début, sur le chemin spirituel, on est comme des enfants, donc on est enfantin, peut-être même un peu infantile et c’est pour ça qu’on a besoin de guidance comme les enfants ont besoin de parents.
Les bons parents, par contre, enseignent aux enfants à devenir autonomes, à tenir sur leurs deux jambes alors que les mauvais parents cherchent à garder les enfants dépendants d’eux indéfiniment.
Et même quand les enfants sont adultes, ils pensent que papa et maman vont les aider.
Des bons parents enseigneront à leurs enfants à être autonomes, indépendants et le bon gourou fera de même.
Mais, même si les disciples gardent beaucoup de respect et de dévotion pour leur gourou, ils ne vont pas courir à chaque instant pour s’adresser à lui, pour lui demander conseil.
Un gourou qui maintient son disciple dans l’état de disciple à tout jamais, a des problèmes lui-même, c’est évident.
Le bon gourou enseigne au disciple, à l’étudiant, à devenir autonome à l’intérieur, à ne pas être dans la dépendance du gourou et à ne pas toujours s’appuyer sur lui, même s’il continue à avoir du respect et de la dévotion à son égard.
Je le redis : on a besoin de quelqu’un qui nous montre comment nous débrouiller avec notre vie intérieure et d’un autre point de vue on a besoin d’une ouverture à cet enseignement parce que l’ouverture amène, on pourrait presque dire ‘aspire’ vers nous les bénédictions, nous remplit de bénédictions.
C’est comme la lumière du soleil extérieur : si vous ouvrez les rideaux la lumière du soleil rentrera, si vous les fermez, elle ne rentrera pas.
Un vrai gourou, redisons-le, malgré cela, souhaite que non seulement son disciple devienne indépendant mais qu’il devienne lui-même un enseignant.
Le problème n’est pas avec le gourou en soi, mais avec les mauvais gourous. Il y a en effet de mauvais gourous qui ont besoin d’avoir la dévotion, la soumission de leurs disciples pour satisfaire leurs propres difficultés ou leurs besoins psychologiques : ce ne sont certainement pas les bons enseignants à suivre.
Regardez des anciens disciples qui sont depuis 10 ou 20 ans avec leur gourou : est ce qu’ils sont capables de prendre leur propre décision? Souvent au contraire ils courent après le gourou pour lui demander des conseils à tout moment.
Q : Swami Vijayânanda disait bien que le yoga ne consistait pas dans l’adoration du gourou et pourtant on voit beaucoup ça dans ce milieu spirituel. Quand pensez-vous ?
TP : Qu’est-ce que signifie la vénération du gourou ? Si vous avez un gourou qui incarne toutes ces qualités spirituelles que vous vous efforcez d’atteindre, certainement c’est bien d’avoir de la vénération pour lui. Ça ne veut pas dire que vous avez une dévotion aveugle pour les gourous, vous restez conscient que bien qu’ils aient toutes ces qualités, ils restent aussi des êtres humains.
Le problème vient lorsque la vénération est aveugle et à ce moment-là le mouvement se transforme en secte. C’est là que ça devient très dangereux, mais les vrais gourous ne créent pas de secte et la relation avec leurs étudiants est beaucoup plus facile, simple : ils ne demandent pas un abandon complet ni une foi aveugle. Ceux qui demandent cela prêtent à une grande suspicion.
Q : Quelle était votre expérience avec votre propre gourou quand vous étiez dans la grotte et loin de lui ? Est-ce que vous étiez toujours en lien avec lui ?
TP : En fait, je descendais le voir un mois par an mais effectivement, au-delà de ça, c’est vrai que le gourou est toujours présent : son esprit est avec vous et votre esprit est avec lui.
Cela est le lien avec le gourou, même à distance. La séparation physique n’est pas importante, ce n’est pas le point principal.
Vous pouvez être proche de quelqu’un avec votre esprit à des milliers de kilomètres, mais grâce à l’ouverture du cœur et à la dévotion vous êtes en sa présence. Cela est le cas quand les enseignants sont de vrais enseignants.
Mon lama lui-même vers la fin, quand je lui demandais ce que je devais faire, il me répondait: « Mais vous, qu’est-ce que vous voulez faire ? »
Soit il me disait : « C’est très bien de faire ça » et on sentait qu’il m’encourageait, ou alors il me demandait : « Est ce que vous êtes sûre de vouloir faire ça ? » Et là, je comprenais que ce n’était pas la bonne idée.
A un certain point, il s’attendait à ce que je prenne les rennes moi-même de mes propres pratiques afin de savoir ce que je devais faire. Il s’attendait à ce que je suive les pratiques qui m’attiraient vraiment.
Q : Est-ce que vous vous sentez toujours reliée à lui après son départ ?
TP : Dans notre tradition, les lamas reviennent et la réincarnation de notre lama, le neuvième Khamtrul Rimpoché a maintenant 41 ans. Il vit en bas de la descente de notre route à 6 kilomètres de notre centre et c’est le lama qui guide officiellement notre couvent.
Dans le système tibétain, quand un lama meurt, il trouve rapidement une nouvelle incarnation.
Q : Est-ce que votre relation avec le nouveau Rimpoché est la même que celle avec l’ancien ?
TP : Ce n’est pas réellement la même relation parce que l’ancien Khamtrul était plus âgé que moi.
Même s’il n’était pas si âgé que cela, pour moi c’était clairement une figure paternelle, une figure d’autorité et je l’ai rencontré le jour de l’anniversaire de mes 21 ans, donc j’étais toute jeune.
Quant au nouveau, je l’ai connu quand il était bébé, il avait deux ans et bien sûr notre relation a été très différente mais c’est un très bon lama, je n’ai pas entendu de plainte à son propos. Il ne crée pas de troubles.
Q : Est ce qu’il donne le même enseignement que son prédécesseur ?
TP : Chaque incarnation est différente, ce ne sont pas des tampons que l’on colle pareillement sur chaque feuille. Ils ont les mêmes qualités mais ils ont aussi leurs différences.
Quand il est né et qu’il a grandi, j’avais déjà établi ma pratique, donc je n’avais pas à lui demander de conseils et de plus si j’avais des conseils à demander, il y avait beaucoup de yogis très expérimentés auxquels je pouvais m’adresser dans notre ordre de Khamgar.
Bien sûr c’est l’enseignant pour nos jeunes religieuses. Évidemment là, en ce moment, tout est confiné mais sinon quand on lui demande de venir, il est très content de donner non seulement des initiations, mais aussi des explications, des enseignements détaillés.
Pour les moniales ici, il est leur lama racine.
Q : Vous dîtes à propos de la canalisation de l’énergie : « Tous les grands saints étaient des gens passionnés. Le point crucial est qu’ils n’ont pas dissipé leurs passions dans les voies négatives » (p 233).Comment dissipe-t-on nos énergies dans des voies négatives ? Et comment éviter cette perte ?
TP : Notre esprit est habitué à des émotions négatives comme la jalousie, l’envie, l’avidité, la haine et aussi l’ignorance fondamentale qui est très perturbatrice en elle-même.
On a ces émotions qui ressortent quand on devient jaloux, quand on devient arrogant : ça crée des tempêtes dans notre esprit et finalement ça nous consomme beaucoup d’énergie, ça la gaspille. Ce qui est encore plus grave, c’est que, lorsque ça remonte, on n’est pas conscient qu’on est mené par le bout du nez par ces émotions, on est juste emporté par elles.
Ces émotions négatives qui remontent dans l’esprit se traduisent ensuite sous forme de mauvaises paroles, ou de mauvaises actions.
Les gens qui sont spirituellement avancés ne dissipent pas leur énergie dans ces émotions négatives, mais ils les transforment. Par exemple le désir devient dévotion, la colère devient patience ou bienveillance.
On voit qu’on est jaloux, qu’on est avide, qu’on est en colère, on les reconnaît et on les transforme parce qu’on voit que cela crée beaucoup de perturbations et que cela a beaucoup de conséquences négatives, alors on les change.
On n’est plus dominé par notre esprit, c’est nous qui le maîtrisons et devenons le maître de notre esprit. On voit cela chez les gens spirituels authentiques : ils ne sont pas submergés par les émotions négatives…ils les maîtrisent …Ils maîtrisent leurs processus mentaux.
Ce ne sont pas des moutons ni des lapins ces maîtres spirituels, ils ont leur énergie.
Mais cette énergie est canalisée vers des fréquences supérieures, elle n’est pas gaspillée.
D’abord on doit rester attentif, conscient de ce qui se passe dans l’esprit d’instant en instant.
Quand toutes sortes de choses remontent, on les reconnaît comme telles. On sait ce qu’il faut éviter, c’est à dire les émotions négatives et ce qu’il faut encourager, c’est à dire les émotions positives.
On pratique la transformation des émotions négatives en émotions positives, mais ce n’est pas pour autant qu’on n’a pas d’émotions !
On ne doit pas céder aux émotions négatives mais on doit utiliser cette énergie pour la canaliser dans des canaux positifs.
Quand vous voyez des grands maîtres, vous pouvez voir qu’ils sont plus vivants que des gens ordinaires. Ils ne sont pas blancs, ils ne sont pas vides et vous pouvez voir qu’ils ont des émotions, mais leurs émotions c’est l’amour, c’est la compassion, la générosité, l’enthousiasme, etc….
Ils ont un bon sens de l’humour et leurs yeux scintillent, brillent !
Quand vous voyez des grands maîtres, pas simplement bouddhistes mais dans toutes les traditions, qu’elles soient hindous, soufis, chrétiennes, on le voit dans leurs yeux : les yeux sont brillants, ont une splendeur, un éclat.
Q : Vous dites, concernant votre vie de femme: « Les hormones n’ont jamais été un obstacle pour moi. Mes règles ne m’ont pas gênée. Et je pense que l’on fait toute une affaire de la ménopause et du syndrome prémenstruel. De plus j’ai remarqué que les hommes sont d’humeur plus changeante que les femmes » (p192).
-L’impression générale est juste le contraire de ce que vous dites: une femme durant ses menstruations est impure, elle n’a même pas le droit de prier, ni de pratiquer aucun rite, etc… Ses menstruations lui causent beaucoup de changements d’humeur contrairement à la physiologie masculine qui est plus stable! Qu’est-ce que vous en pensez?!
TP : Je pense que tout cela, ce sont des préjugés masculins et donc je n’y crois pas du tout.
Cette idée selon laquelle les femmes seraient inférieures et impures durant leurs règles, c’est juste une façon des hommes d’inférioriser les femmes en leur disant qu’elles sont impures.
Et s’il n’y avait pas de règles, il n’y aurait pas de naissance, il n’y aurait personne. Ça fait partie du cycle pour les femmes.
Si c’était les hommes qui avaient des règles tous les mois, ils deviendraient arrogants : ils se présenteraient comme des gens héroïques pour supporter les douleurs à chaque cycle et à ce moment-là ce serait les femmes qui seraient très faibles de ne pas en avoir. Ce serait le contraire.
Ils présenteraient cela comme si les règles étaient très spéciales et comme s’ils étaient de grands héros pour pouvoir les supporter.
On a plus de cent nonnes, on en a cent vingt, elles accomplissent tous les rituels, elles viennent aux classes de philosophie et elles ne font pas mousser l’idée, qu’elles aient leurs règles ou pas ! Personne ne s’en soucie. Elles font juste leurs taches comme d’habitude, elles ne pensent même pas à leurs règles et moi-même de l’extérieur, je n’ai jamais remarqué qu’elles avaient des changements d’humeur dus aux règles. Elles font leur devoir gentiment, joyeusement pendant leurs règles sans problème.
Bien sûr, ils y a aussi celles qui atteignent l’âge de la ménopause en approchant des cinquante ans mais elles sont stables émotionnellement : elles ne sont même pas au courant que la ménopause est censée les affecter émotionnellement, on ne leur a pas enseigné cela.
Vous faîtes vos travaux comme d’habitude et vous ne savez pas que vous êtes supposée être fragile et délicate émotionnellement à cette période. Je pense que c’est simplement une façon de penser que les hormones sont très importantes.
Évidemment, il y a certaines personnes qui sont sensibles à ces hormones, mais la plupart n’y sont pas.
Et je le redis, là je suis entourée par des jeunes femmes et il y en a constamment qui ont leurs règles. Elles savent rester discrètes et elles continuent normalement sans en faire tout un plat. Elles continuent avec les rituels, les méditations, les débats, les cours de philosophie et personne n’en fait une histoire.
Q: Est-ce qu’il n’y a pas des restrictions pour les femmes à propos des rituels, etc… Comme dans les traditions anciennes ou comme dans le judaïsme par exemple ?
TP : Pas du tout. Dans ces religions abrahamiques, effectivement, il y a cette idée d’impureté des femmes pendant leurs règles, en particulier le judaïsme et l’islam et peut-être l’hindouisme qui a été influencé par l’islam, mais dans le bouddhisme il n’y a rien du tout à propos de cela.
Simplement, dans les conventions monastiques, les femmes pendant la période des règles sont autorisées à porter des vêtements supplémentaires et c’est tout ce que l’on dit à ce sujet, rien d’autre.
Il n’y a aucune interdiction à propos des rituels, ni en aucune façon. Les femmes continuent leur travail comme d’habitude, elles ne sont pas considérées comme impures.
Q : Pour moi qui suis professeur de religion comparée, c’est quelque chose de nouveau parce que la plupart des religions mettent beaucoup de restrictions dans cette période des règles et sur ce sujet.
TP : Oui, c’est ce qu’ont en commun les religions abrahamiques.
Q : Même l’hindouisme ?
TP : Sans parler de cette question des règles, une influence probable de l’islam sur l’hindouisme est la question de la tête couverte. Dans le bouddhisme, on considère que découvrir la tête est un signe de respect et donc on ne doit pas donner d’enseignement à des gens qui ont la tête couverte.
Mais maintenant, vous voyez dans les temples hindous que les femmes couvrent leurs têtes et cela vient probablement de l’islam.
Dans les religions abrahamiques, vous devez avoir la tête couverte. Les hommes pouvaient porter le chapeau à l’église. Mais dans l’hindouisme et dans le bouddhisme, à l’origine c’était le contraire : si j’avais la tête couverte quand j’arrivais dans le temple, je devais retirer ma coiffe.
Au Moyen Orient, c’était clair que la coutume était de garder la tête couverte. Pour d’autres raisons en Inde c’est le contraire.
Tout cela, ce sont des coutumes.
Q : Vous ne pensez pas qu’il y a un sens profond à découvrir sa tête ou à la couvrir ?
TP : Bien sûr, il y a des raisons. Chacun a ses raisons mais l’important, c’est de montrer du respect selon les coutumes.
Q : Pourquoi dans l’hindouisme et dans le bouddhisme, les moines et les moniales rasent-ils leurs cheveux ?
TP : Parce que c’est un signe de beauté, d’habitude les gens sont très fiers de leurs cheveux.
Q : Oui, en Islam les cheveux sont un signe de beauté et les femmes doivent les voiler pour ne pas attirer les autres hommes.
TP : Raser les cheveux, c’est abandonner la beauté mais, c’est aussi une pratique très commode. Si vous devez tout le temps nettoyer vos cheveux, si vous avez tout le temps à les garder propres, c’est vraiment un problème, surtout quand vous êtes en voyage sur les routes, comme une moniale.
Quand les gens vous voient avec une tête rasée, ils savent que vous êtes un moine ou une nonne.
Q : Oui, effectivement, j’ai eu cette expérience à l’université : quand je n’avais plus de cheveux, mon doyen m’avait dit : « Oh, tu es en train de devenir un moine bouddhiste !»
Mais quand même, les gens comprennent assez facilement qu’un moine se rase les cheveux mais pour une moniale, ils ont plus de mal à comprendre.
TP : Ce qu’il y a de beau, c’est que lorsque ces filles viennent pour prendre les vœux monastiques et qu’on leur coupe les cheveux, elles ont les mains jointes, elles sourient et elles sont dans un état de bonheur intérieur intense avec la joie de la renonciation !
L’idée de devenir moniale, c’est la renonciation : on a des vêtements qui ne nous flattent pas, on rase les cheveux. Et puis aussi l’avantage de la tête rasée est qu’on ne cache pas son visage : c’est un acte de vérité quelque part.
Q: Dans l’hindouisme, les sannyâsi rasent leurs cheveux au moment de l’initiation, mais ensuite certains les laissent repousser.
TP : Certains les laissent repousser et d’autres les rasent régulièrement. Ça dépend des lignées. Mais c’est très pratique.
Q : Moi aussi j’aime bien me raser, je trouve ça plus commode. Et ainsi, je n’ai même pas à me regarder dans le miroir, ni continuer dans l’illusion que je suis ce visage !
TP : Quand vous rencontrez des nonnes de différentes traditions en Asie, elles ont des vêtements très différents et de toutes les couleurs, gris, marron, jaune, mais ce qu’elles ont en commun : ce sont les cheveux rasés. On peut se reconnaître entre nous immédiatement parce qu’on a la même coiffure !
Q : Dans le même contexte vous dites : « La différence entre homme et femme est extérieure mais à l’intérieur, le cœur est le même. Qu’est-ce que l’Éveil sinon la connaissance du cœur ? » (p 194)
Les différences anatomiques et physiologiques entre les deux sexes n’ont-elles pas une influence décisive sur le plan de l’évolution spirituelle ?
TP : Quand on est assis en méditation, il n’y a plus d’homme ou de femme.
Quand on considère les grandes pratiques de méditation : observer son propre esprit, se focaliser, il n’y a pas grande différence entre homme et femme.
Il y a quand même une différence que reconnaissent même les enseignants masculins, c’est que les femmes sont plus intuitives et grâce à cela, elles peuvent plus facilement faire des bonds et même voler. Elles n’ont pas peur de l’intuition, alors que les hommes sont plus analytiques et aiment progresser pas à pas, degré par degré et là, ça les rassure.
De cette manière, on peut dire que les femmes sont plus douées pour la méditation que les hommes.
Mais dans le Tantra, par exemple, on se visualise comme une déité : les hommes peuvent se voir comme Tara la déité féminine, et les femmes comme Avalokiteshvara la divinité masculine, comme elles peuvent se voir avec une déité de leur propre genre donc les deux sont possibles. Ça n’a pas d’importance, on peut se voir des deux façons. Il y a un échange possible, on peut être les deux : divinité masculine et ensuite divinité féminine.
On peut dire que les femmes sont plus proches de leurs émotions, c’est pour cela qu’elles pleurent peut-être plus facilement, mais à l’inverse les hommes ont davantage de difficultés à se relier à leurs émotions. Il y a une question d’éducation aussi : on autorise les filles à être émotionnelles alors que c’est moins le cas avec les garçons et puis les femmes sont préparées à être mères et à ce titre là, elles sont plus en harmonie et en accord avec leurs émotions, en particulier les émotions comme la bienveillance, l’amour etc…
Les filles sont préparées à cela et puis même les petites filles jouent plus avec des poupées, alors que les garçons se distraient davantage avec les armes. Toute la différence est là.
Mais, il y a des hommes qui sont très intuitifs et proches de leurs émotions et à l’inverse des femmes qui sont très rationnelles et loin de leurs émotions !
Moralité, on ne peut pas faire de généralisation hâtive.
Q : A quoi est dû le fait qu’on puisse voir des hommes avec des qualités féminines et des femmes avec des qualités masculines ?
TP : Bien sûr, comme vous le dites, on ne peut pas faire de généralisation hâtive, il y a ces hommes qui sont sensibles et proches de leurs émotions et l’inverse est vrai aussi. Mais comme je le disais au début, quand vous êtes assise et que vous plongez en méditation, il n’y a plus ni homme ni femme.
Q : Dans un état réel de méditation, on est au-delà de cette différence entre les sexes.
TP : (Très convaincue) : OUI
La nature de l’esprit, cette conscience primordiale et fondamentale est très certainement au-delà des différences de genre. La question ne ne pose pas.
C’est le mental conceptuel ordinaire, qui se relie à un corps féminin ou masculin, qui fait cette distinction.
Q : Dans le nirvana finalement on est au-delà du féminin et du masculin.
TP : Quand vous observez les grands maîtres, la plupart sociologiquement sont des hommes mais, en fait ils ont quelque-chose de l’autre sexe en eux, quelque-chose de féminin.
Et ces maîtres spirituels authentiques, même s’ils sont dans des corps d’hommes, ont une chaleur et une bienveillance qui sont typiquement maternelles.
C’est comme si le maître, dans son ensemble, avait des équilibres mâles et femelles.
Q : Vous dites : « L’approche scientifique moderne a accordé une telle importance au cerveau que nous sommes complètement coupés de cette réalité du cœur. C’est pourquoi tant de gens ont l’impression que la vie est stérile et dénuée de sens « (p175)
TP : Ce qu’il faut bien comprendre, ce sont ces qualités que l’on peut développer pour faire descendre notre attention dans le cœur. Par exemple, dans le bouddhisme on parle des quatre pensées immesurables. Il y a la bienveillance, la compassion, la joie dans les bonnes choses et la sérénité ou l’équanimité. En méditant sur ces qualités, on fait descendre l’attention vers quelque chose d’intellectuel, vers quelque-chose de bien réalisé dans la tête et de bien ressenti dans le cœur. Donc ça va à un niveau beaucoup plus profond. C’est très important pour tout un chacun.
Par exemple dans Tonglen (la méditation sur ‘prendre et donner’) on visualise qu’on prend la souffrance du monde à travers le souffle au centre du cœur et que sur l’expiration, on repart dans l’autre sens en envoyant la lumière du cœur à travers le souffle et vers tous les êtres, vers le monde.
On en revient toujours à se centrer dans le chakra du cœur.
On a l’habitude également de visualiser le divin, quelle que soit la forme qu’on lui donne ou le concept qu’on en ait, quel que soit le gourou, l’enseignant, le bouddha ou Jésus, ou même purement la lumière dans le chakra du cœur.
Tout ceci aide à ouvrir le cœur et à le faire cesser d’être totalement fermé sur lui-même.
Quand on fait les méditations de bienveillance, bien sûr, cela vient du cœur également et quand on souhaite aux gens d’être mieux, d’avoir la réalisation de leurs aspirations, de sortir de la souffrance, tout cela vient du cœur. Quand on est dans les niveaux profonds de méditation, on sent l’énergie qui descend de la tête dans le cœur. Tous ces niveaux profonds de l’être sont dans le cœur plutôt que dans la tête.
Finalement il doit y avoir un équilibre entre la tête et le cœur, bien sûr on n’est pas simplement des émotions, on a aussi un intellect : les deux doivent être bien coordonnés et harmonisés, entre le naturel et la compassion.
Quand on médite on est en contact avec ce positif émotionnel, on ne le refoule pas.
Q : Est-ce que ça va se produire ?
TP : Bien sur parce que c’est notre vraie nature, qui est la bienveillance, l’affection et la sagesse. Nous ne faisons que revenir à ce que nous sommes en réalité.
Hélas, souvent les gens ferment la porte, ils ne peuvent pas la voir vraiment, ils ne sont plus en contact avec cette véritable nature.
Q : Est-ce qu’on se doit de découvrir notre vraie nature qui est amour et compassion ?
TP : Certainement. On s’entraîne à voir les choses telles qu’elles sont. Plus on voit les choses telles qu’elles sont, plus on développe la compassion. On voit comment on est emmêlé en nous-même, on voit comment tous les autres sont emmêlés également et à ce moment-là, on développe une compassion considérable pour tous les êtres et pour nous-même aussi.
La prison du samsara existe tant que nous croyons qu’il y a un ‘moi’ et un ego, car en fait cette prison est le moi et l’ego. Autant que l’on puisse croire à notre ego et que l’on soit guidé, conduit par notre ego, poussé par notre ego. A ce moment-là, qu’on soit dans les étages supérieurs ou dans les oubliettes, on est de toute façon prisonnier de notre ego, comme de notre ignorance.
La clé, c’est la sagesse qui reconnaît que notre petit moi est ce qui recouvre notre vraie nature et qu’elle va bien au-delà de tout cela.
Ainsi donc, quand on réalise notre vraie nature, il n’y a plus de prison. C’est pour cela que l’on pratique parce que c’est difficile de se dés-identifier de cet ego et de cette prison. Moi-même, je suis autant prisonnière que les autres, mais je pratique.
Il y a des sages qui ont réalisé la sortie de la prison, qui sont revenus et qui nous ont indiqué comment sortir de la prison.
Le point essentiel avec les Bodhisattvas, c’est qu’ils ne sortent pas de la prison en laissant tous les autres derrière, mais qu’ils reviennent et qu’ils ne quittent pas la prison avant qu’elle ne soit vide.
Q : Ce rêve de la prison est merveilleux. Est-ce que c’est votre propre rêve ou est-ce que vous l’avez vu dans une écriture sacrée, ou autre ?
TP : C’est un rêve très signifiant et on peut le comprendre directement.
Oui, c’est vrai, qu’on soit dans les étages supérieurs avec des grands appartements, une vie de luxe avec des fêtes tout le temps, ou alors dans des cachots, de toute façon on est tous dans le même piège. C’est l’essentiel du rêve.
On peut s’échapper mais ce n’est pas si facile. Le rêve change réellement quand on cesse de vouloir s’enfuir de la prison pour soi-même mais qu’au contraire, on veut amener tous les autres à sortir de la dite prison. Le point important, c’est de reconnaître que, quelle que soit notre situation, on est en prison mais cette situation n’est pas une sécurité parce qu’il y a tout le temps du mouvement : les gens d’en haut vont en bas, les gens d’en bas vont en haut et cela ne nous donne pas un sentiment d’aise et de sécurité.
Q : Vous dites : « Les gens prétendent qu’ils n’ont pas le temps de méditer. Ce n’est pas vrai ! Vous pouvez méditer en marchant dans un couloir, au feu rouge, en faisant la queue, etc… “(p 228-229)
Dans ce cas tout acte qu’on fasse peut être une méditation ! Mais c’est justement ce qu’on ne sent pas! Comment donc transformer les actes banals d’une vie quotidienne en une méditation ? Surtout que ces actes sont une source d’émotions négatives : soit ils nous énervent, soit ils nous font peur ou nous rendent bien tristes, etc…Comment donc séparer ces actes des émotions négatives qu’ils peuvent nous causer ?
TP: Vous savez tout cela c’est l’essence de la pratique de pleine conscience et l’essence de cette pratique c’est de connaître davantage ce qui se passe à l’intérieur de nous.
Dans le bouddhisme, cette conscience entière, c’est cette capacité à reconnaître immédiatement ce qui est une émotion positive de ce qui est une émotion négative : c’est ça le grand progrès.
Il faut savoir reconnaître les émotions quand elles arrivent, comme cela on peut les transformer et il faut apprendre à être conscient dans les quatre postures : qu’on soit debout en marchant, debout immobile, assis, ou allongé.
Quand on voit les émotions négatives qui remontent, comme par exemple la colère ou l’avidité, on les accepte immédiatement et on reconnaît qu’on est dans la colère ou dans l’avidité.
C’est quand on les accepte qu’on peut les changer : on les voit, et ce n’est pas qu’on les refoule, au contraire, c’est là qu’on peut les changer.
La colère est transformée en patience et l’avidité en générosité, etc…
Il y a aussi cette capacité à être conscient dans toutes les postures et dans toutes les actions. Par exemple quand on boit du thé ou qu’on se lave les dents, on est complètement conscient de ce qui se passe.
On se demande ce que ressent l’esprit, mais aussi le corps, et ce que le corps est en train de faire ? C’est à la fois du corps et de l’esprit dont on est conscient. On est ramené à ce que l’on est en train de faire au lieu d’être tout le temps emmêlé dans le passé ou dans le futur, ou bien encore en train de s’agiter dans le présent.
Cela est la base pour devenir vraiment les maîtres de notre esprit, plutôt que les esclaves de ce que
notre esprit a envie d’un instant à l’autre.
Quelque chose de très simple et pratique est aussi la conscience du souffle.
La plupart du temps on n’est pas conscient du souffle et quand on devient agité pendant la journée, on peut juste revenir à l’inspir et à l’expir.
Cela ramène l’esprit dans le présent parce qu’on ne respire pas dans le présent ou dans le futur, on respire simplement dans le ‘maintenant’ et si on est conscient de notre souffle, on est dans le présent. C’est comme cela que notre esprit est entraîné.
Les bouddhistes disent que le mental est un ‘singe fou’ et qu’on doit dompter le singe afin d’avoir le bonheur dans le cœur et savoir le maintenir.
Q : Concernant la question majeure du célibat vous dites: « Le célibat reste une question pertinente et très importante. Il a un but. Non seulement, il libère le corps mais il clarifie l’esprit. Il permet aussi de libérer les émotions.» (p 245) Est-ce pour cette raison que la majorité des saints et des traditions spirituelles sont la plupart du temps composées de célibataires ? Et comment le célibat libère-t-il les émotions ?
TP : Toutes ces questions de célibat sont bien plus que physiques, elles impliquent les émotions subtiles ainsi que l’esprit. Donc il ne s’agit pas simplement de se refréner sur les activités sexuelles ou sur le fait d’avoir des pensées sensuelles : cela ne marche pas !
Quand on est pris toute la journée par ces questions sexuelles ce n’est pas simplement le corps qui est engagé, nos émotions le sont aussi, de même que notre psychologie et à certain moment on peut être très perturbé par ces questions-là.
Si on sait se préserver de cette activité sexuelle, à ce moment-là l’énergie sera canalisée et redirigée vers d’autres activités, comme la créativité ou la dévotion.
Cette ‘redirection’ de notre énergie et de notre concentration favorisera la liberté de l’esprit et vice versa.
D’autre part, il y a des pratiques qui utilisent l’énergie sexuelle pour le progrès spirituel, par exemple le kundalini yoga, ou chez les tibétains le tummo, pour ouvrir les canaux et les chakras.
Beaucoup de maîtres spirituels sont mariés et ont une famille, donc ce n’est pas que la sexualité en elle-même soit une bonne ou une mauvaise chose, tout dépend de comment nous l’utilisons.
Mais pour les gens ordinaires, une période de célibat sera très utile tout simplement pour permettre à l’esprit de penser à autre chose.
Q : Est-ce qu’on peut être célibataire pour une période limitée de temps et pas pour toute la vie ?
TP : Oui, en retraite c’est ce que l’on fait : on est en silence, on observe le célibat.
Si on garde les vœux de célibat pour 6 mois ou 1 an, on a une liberté d’esprit pour être focalisé sur les pratiques que l’on doit faire et ne pas être attiré par telle ou telle personne.
En Thaïlande par exemple, la coutume est, lorsqu’on est un garçon, de faire un temps monastique pour quelques mois, ou 1 an, et comme cela on passe de l’état de jeune, à l’état d’adulte. Même le roi de Thaïlande fait cette pratique. Dans leur tradition, on appelle cela l’ordination temporaire.
Q: C’est-à-dire les 4 stades de la vie avec : le stade d’étudiant célibataire, ensuite le maître de maison, puis le couple séparé de la famille qui fait plus de pratique, et finalement le sannyasi ?
TP : Oui, cette distinction des 4 stades est utile.
Ça peut être très utile même pour un temps très limité de mettre toute leur énergie dans ce qu’ils font, plutôt que d’être attiré par celui-ci ou celle-là…
Tenzin Palmo termine l’interview avec des Vœux de BONNE ANNEE en faisant remarquer qu’Internet s’étant interrompu, c’est signe que cette session est terminée !