Yoga, spiritualité et leurs genres
Conférence du Dr Lwiis Saliba sur Zoom
Mercredi 03/11/2021
Yoga : un chemin spirituel et mystique
Les recherches dans les parties et chapitres précédents ont montré une nette affinité entre le yoga et la mystique de Sainte Thérèse D’Avila. Si l’on met de côté les croyances et le dogme sur lesquels chacun des deux est basé, alors les deux chemins sont similaires et proches en termes de principes théoriques et pratiques. Par conséquent, la question de la spiritualité, de l’identité et du caractère de l’enseignante de méditation T A est évidente.
Est-ce une spiritualité de méditation? Ou d’action? Ou de contemplation et de cogitation sur les secrets divins ? Ou bien est-ce une Synthèse de tous ces aspects et éléments ?
Si nous voulions poser la question sous une autre forme et en termes ou expressions hindous, nous dirions : Quel est donc le yoga de Sainte Thérèse ?!
Nous ne cherchons pas, en posant la question de cette manière, à habiller notre sainte de la robe d’une sage Indienne, ni à la séparer de sa culture et de son héritage chrétiens, car elle est fermement enracinée dans l’un et l’autre. Mais nous utilisons le terme ‘yoga’ dans le sens connu depuis Pâtanjali: c’est une méthode d’approche du divin ou de l’absolu «Le yoga freine les fluctuations de la pensée» (Yoga Sûtra 1/2) dit Pâtanjali au début de son livre. C’est l’équanimité de l’esprit. C’est une voie et non pas un dogme.
Le Yoga de Sainte Thérèse D’Avila est donc sa méthode ou sa voie pour approcher et expérimenter le divin, c’est en un mot sa spiritualité ou son mysticisme.
Quelle est cette spiritualité ‘thérésienne’, et comment la lisons-nous ou l’abordons-nous sous un angle hindou?! Quels sont les similitudes ou les axes communs, entre elle et les voies soufies indiennes ?!
Yoga: Différentes approches, un seul objectif
Pâtanjali distingue plusieurs genres, ou ‘types’ de yoga. Dans Les Yogasûtras 1/23 il parle du ‘yoga de la dévotion ‘ ou de l’amour de Dieu (en sanskrit Bhakti).
« Amour du Seigneur et abandon complet à Lui ».
Dans le Sûtra 2/1, il définit ‘le yoga de l’action’ ou karma yoga.
Dans son commentaire sur ‘Les Yogasûtras’ de Pâtanjali, Swami Chidânanda présente ces différents types de yoga, leurs caractéristiques, points communs et les différences entre eux, en disant: « Il existe de nombreux types de yoga. Tout acte qui libère une personne de la tristesse et lui procure un vrai bonheur est un yoga. Malgré les différentes pratiques, le yoga en est un. Les pratiques ont été multipliées uniquement pour convenir à des personnes de capacités et d’orientations différentes (…) et toutes ces voies aboutissent en fin de compte au même résultat final». Après avoir expliqué les raisons des différentes approches, malgré l’unité du but, Chidânanda mentionne leurs noms et les caractéristiques de chacune: «Offrir à l’homme l’esprit, le sentiment et la volonté spirituelle d’examiner la pensée, la conscience, les motifs et les émotions. Chaque yoga convient à une personne en particulier selon la force intérieure qui prévaut dans sa nature. Si l’intellect est dominant, l’aspirant recourt à la voie du Jnâna Yoga, et si l’émotion prévaut, l’approche de la vérité se fait par le yoga de la dévotion ou l’amour divin: Bhakti Yoga. Si le pouvoir d’introspection est dominant, alors la voie conseillée est le Raja Yoga, aussi appelé Dhyâna Yoga. Le karma yoga est une pratique courante dans toutes les voies. Si le chercheur poursuit le chemin de la connaissance, de la méditation ou de l’amour divin, la pratique du yoga de l’action est essentielle. Le yoga de l’action consiste à agir dans ce monde, sans être attaché aux fruits de son action, afin d’être libéré de ses entraves égoïstes ».
Swami Vivekânanda, à son tour, met l’accent sur la pluralité des disciplines du yoga et l’unité du but. Il nomme les quatre principales: «L’idée la plus merveilleuse du Védanta est que nous pouvons atteindre le même objectif de différentes manières. J’en distingue quatre :
La voie de l’action Karma yoga. La voie de l’amour Bhakti. Celle de la pensée Raja et de la connaissance Jnâna».
Cependant, il souligne que ces approches se chevauchent, et que l’une ne peut être isolée de l’autre : «Mais il faut se rappeler que ces divisions ne sont pas absolues, et que dans les différentes méthodes, l’une n’exclue pas l’autre ».
Puis il reprend la règle mentionnée par Swami Chidânanda, qui consiste à ce que chaque disciple ait une approche selon sa nature et ses penchants: «Les divisions ont été établies selon la nature ou la tendance d’une personne. Et nous avons vu que ces chemins convergent à la fin pour devenir un seul chemin ».
La spiritualité de Thérèse D’Avila
est une synthèse de plusieurs disciplines
Si nous regardons le yoga de Sainte Thérèse, ou son approche spirituelle, nous constaterons qu’il s’agit d’un mélange, ou plutôt d’une synthèse, de ces types de yoga, à des doses et des proportions différentes.
Elle est d’abord un maître de la méditation, son approche est enracinée dans le Dhyana Yoga ou Raja Yoga. De plus, elle a suivi la voie de l’amour divin Bhakti Yoga et elle est aussi une nonne d’action et de réforme, donc du Karma Yoga, mais malgré l’adoption de ces trois voies, elle n’a pas négligé la voie de la connaissance Jnânâ Yoga.
Puisque nous avons développé dans les exposés précédents son approche méditative et l’avons comparée au yoga royal, tel qu’exposé par Pâtanjali dans son livre/Source: ‘Les Yogasûtras’. Nous procéderons dans les chapitres suivants à la présentation des autres éléments du Yoga de Thérèse, partant de l’amour divin Bhakti, qui occupe une place essentielle dans sa démarche et se terminant par le yoga de l’action, ainsi que sa place dans cette démarche, en passant et en s’arrêtant au yoga de la connaissance, qui n’a pas été négligé par cette Dr. de l’Eglise, bien qu’elle ne lui ait pas cédé la même place qu’elle a donnée aux trois premières approches.
L’amour divin dans le yoga et chez Thérèse
Le yoga de la piété et la station d’adoration
Nous avons déjà défini le Bhakti Yoga, alors qu’est-ce que le yoga de l’amour divin ou le yoga de la piété ?
Notre professeur qui est notre référence en sciences védiques, Robert Kfoury, nous présente une définition de la sagesse indienne de cette voie comme suit : «Le yoga de la piété est le yoga de l’amour divin. Il s’adresse particulièrement aux personnes de nature émotionnelle, et conduit à la vision de Dieu par l’amour mystique. En se concentrant sur Dieu, l’aspirant cherche à augmenter son rappel de Dieu et à être en contact avec lui. Et par la foi, la prière et la soumission, il peut atteindre la vision directe de son Idéal.»
La voie de l’amour divin, on la trouve dans toutes les formes de soufisme, comme dans différentes cultures et religions. C’est l’amour divin, ‘ishq Ilahi chez les mystiques de l’Islam. Ils y distinguent trois stations : l’adoration, la servitude et la dévotion unificatrice (‘ubuda).
Al-Qushayri (d. 465 AH) dit, en les distinguant : «L’adoration est pour les maîtres de la lutte. La servitude est pour les maîtres de l’endurance, et la dévotion ‘ubuda est un attribut des gens de contemplation imaginative».
Ici, al-Qushayri rejoint la définition du yoga en ce sens que la contemplation est le stade le plus élevé de l’amour divin. À son tour, Abd al-Karim al-Jili (m. 832 AH) met l’accent sur la hiérarchie des trois stations mentionnées : «La station de dévotion ‘ubuda domine toutes les stations. La différence entre l’adoration, la servitude et la dévotion ‘ubuda est que l’acte d’adoration est l’émission d’actes de justice par le serviteur cherchant une récompense, et la servitude est l’émission d’actes de justice par le serviteur de Dieu Tout-Puissant, dépouillé de la recherche de récompense, mais plutôt dans un acte purement dévoué à Dieu Tout-Puissant. Quant à la dévotion ‘ubuda, c’est plutôt agir par Dieu. Par conséquent, c’est la station de dévotion ‘ubuda qui domine sur toutes les autres. »
Al-Kamakhshawi (m. 1311 AH), tout comme son précédent al-Jili, voit que la dévotion ‘ubuda est la station de l’unification avec Dieu, et c’est la station ultime la plus élevée de l’amour divin: « La dévotion est pour les personnes spéciales qui ont vu leurs âmes se tenir à Ses côtés dans Son adoration. »
Le yoga, de même que la mystique islamique, cherche cette unité dans le ‘yoga de la piété’, après la station de contemplation méditative: « Le mélange se produit, et l’unité demeure toute seule, l’unité de l’amoureux et de l’aimé, et ainsi le but est atteint. »
Le yoga, comme le soufisme, recherche l’amour divin pour l’amour de Dieu, et non pas pour la récompense. Kfoury ajoute: «Le bhakti yoga est l’amour intense de Dieu. C’est la voie de l’adoration, et elle s’adresse à la plupart des gens. ‘Aimer par amour de l’amour’: telle est la devise du Bhakti Yogi. Celui qui aime Dieu n’a aucun besoin, et aucune calamité ne lui arrive. Il ne déteste ni les gens ni les choses, et n’aspire pas non plus aux plaisirs corporels. Il embrasse chacun avec la chaleur de son amour. »
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